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L’antidémocratisme est un apolitisme !

category international | divers | opinion / analyse author Monday November 16, 2009 11:26author by des révolutionnaires Report this post to the editors

Revenir au politique

Nous pensons nécessaire la redéfinition d’un projet politique révolutionnaire, d’une utopie rupturiste qui trace des perspectives émancipatrices, et non pas seulement un aménagement du réel en vertu d’un possible réduit aux « nécessités objectives », aux contraintes de ce réel et à celles du sens de l’histoire. Courant alternatif propose donc une série de contributions, avec un double but : permettre à tout un chacun de s’approprier ces questions comme autant d’outils à réutiliser dans les luttes ; et engager un débat qui favorise le retour au politique, conçu comme le lieu et le temps de d’élaboration collective, indispensable à toute pratique et perspective révolutionnaire clairement orientée contre le capitalisme et l’Etat [1].

[Courant Alternatif est un mensuel édité par l’Organisation Communiste Libertaire. Pour plus d’informations : http://oclibertaire.free.fr/]

Depuis quelques années se développe dans les cercles radicaux, autonomes ou anarchistes, une propension à condamner la démocratie au nom d’une dénonciation de l’Etat et de la domination. La démocratie étant la forme prise par cette domination, elle serait donc un piège à abattre au nom de deux grandes catégories : la nécessité de l’efficacité et la vérité.

L’efficacité. A l’échelle des mouvements sociaux, des pratiques de lutte, des organisations politiques, la démocratie est réfutée le plus souvent au nom de l’action et de ses contraintes. La démocratie dans le fonctionnement d’un groupe, d’un collectif humain, c’est la discussion, la « prise de tête », et donc un frein à l’action. L’activisme, le culte du geste et de son immédiateté, l’urgence de la situation sont avancés comme des déterminations supérieures, révoquant toute idée de discussion un tant soit peu approfondie [2].
Le volontarisme activiste étant posé comme une sorte d’évidence nécessaire et absolue, donc comme une option qui ne se discute pas, le débat, la confrontation des idées et des avis sont dans cette optique une perte de temps, voire ce qui peut empêcher l’action et « faire le jeu » de la domination et de sa conservation, ils confirmeraient bien leur côté néfaste. En fait, l’exigence démocratique risquerait d’introduire de l’égalité, ce qui n’est pas le fort des courants où domine trop souvent le pouvoir des ego musclés. Pourtant, c’est aussi au nom de l’efficacité que la démocratie représentative, qui est un oxymore, puise sa justification : accorder le pouvoir à des spécialistes, des compétents, en nombre restreint, qui ont le temps car ils ne font que ça, etc.
La vérité. La démocratie est aussi combattue au nom d’une idée supérieure : la vérité. La démocratie serait un mensonge car elle masquerait la vérité de la domination et de l’exploitation. Ainsi se confondent le discours de l’Etat dit démocratique et la vérité de la démocratie : les mensonges de l’Etat seraient en fait sa vérité cachée. Mais la démocratie est ici paradoxalement un mensonge « vrai », car cela suppose que l’on croie l’Etat dit démocratique quand il se déclare comme la « démocratie » réalisée. Etrange retournement où l’on donne raison à l’Etat oligarchique pour combattre l’idée de démocratie en tant qu’illusion, au lieu d’interroger l’usage de cette illusion. Les tenants de l’antidémocratisme prennent au mot le discours de l’Etat sur sa manière de se désigner.
La domination étant la démocratie, la fin de la domination devrait se loger dans la fin de la démocratie, de la politique au nom d’une idée incarnée supérieure, d’une vérité devenue substance : le déterminisme de l’économie et du social, le règne de la marchandise, la domination spectaculaire se transformant en leur contraire, le communisme « réalisé », la communauté humaine fusionnelle, ou les multitudes, ou un agrégat d’individualités séparées et portées par un élan vital enfin libéré.
Ce refus de la démocratie est le signe absolu de l’élitisme, d’une volonté de contrôler le pouvoir de la part des détenteurs d’une vérité, de ceux, plus instruits, qui savent ce que tout le monde ignore, dispositif que la démocratie récuse dans son principe.
Il est d’ailleurs notable et piquant que, parmi les promoteurs de ce discours, on puisse retrouver aussi bien des archéo-léninistes, des maoïstes tendance antiquaire, des Badiou, des conspirationnistes ou des insurrectionnalistes néoblanquistes…
Quant à la démocratie comme masque de l’exploitation, il est le plus souvent oublié que le prolétariat qui la subit n’est doté d’aucune destination, démocratique ou antidémocratique. Et que s’il doit s’émanciper, ce n’est pas au nom d’une vérité cachée et supérieure de l’exploitation, mais simplement parce que, dans cette société de classes, il est celui qui a le plus intérêt à le faire.
En identifiant démocratie et capitalisme, de telles conceptions oublient simplement que le principe de la démocratie a émergé avant le capitalisme : l’indéracinable projet démocratique peut donc lui succéder. Cette critique de la démocratie s’arrête en chemin. Pourquoi les Etats oligarchiques s’échinent-ils tant à mimer la démocratie, à faire croire qu’ils l’ont instituée ? Pourquoi cette idée de la démocratie, et de l’égalité qui lui est attachée, fonctionne-t-elle si bien pour masquer la vérité de l’inégalité et de la domination ?
Si cette démocratie fait illusion, ce n’est pas parce qu’elle serait devenue une croyance, un mythe des origines, une simple représentation du monde s’alimentant d’une crédulité ou d’un aveuglement partagé et généralisé, mais peut-être plus simplement parce qu’elle est une fausse bonne idée, comme on dit dans le langage courant, « fausse » dans sa réalité effective, mais « bonne » dans son principe.
C’est l’idée que nous défendons ici – en précisant que nous pensons incompatibles une vie authentiquement démocratique et l’existence de l’Etat.
Car enfin, si la société est inégalitaire, si la domination est effective, c’est bien en fonction de l’égalité et de la liberté – deux valeurs associées à l’idée démocratique – que la critique peut être menée. La démocratie n’est donc pas un voile, une illusion, ou un mensonge, mais apparaît bien au contraire comme le dévoilement, la révélation, la vérité de l’ordre inégalitaire.

L’antidémocratisme qui argumente au nom d’une vérité autre (du social, de l’économie, de l’aliénation) avoue que le destin des hommes et des femmes est tracé par un jeu de déterminations dites objectives qui les dépassent et les empêchent d’y voir clair. Bref, que si les hommes et les femmes font bien l’histoire depuis la mort de Dieu, ils l’ignorent, et ne devront leur salut qu’à ceux qui leur donneront une conscience d’eux-mêmes et qui s’autoriseront à parler et agir en leur nom.
La naissance de la démocratie correspond à la naissance de la politique. On peut donc les identifier l’une à l’autre. La démocratie est l’idée de l’exercice du pouvoir d’une collectivité par et pour elle-même, conception d’un pouvoir désacralisé, libre de toute transcendance, de toute détermination, de toute hétéronomie, de tutelles supérieures antérieures et extérieures.
La démocratie peut par contre être combattue (et vaincue) par des conceptions philosophiques, religieuses, sociologiques, métapolitiques, fondées sur une vérité supérieure, qui ne se discute pas et par conséquent doit s’imposer.
Elle est sans doute un mot « en caoutchouc », selon Blanqui, mais est à la fois une arme et un champ de bataille. Fondée sur rien d’autre qu’elle-même, elle se présuppose et contient en son sein sa propre problématique. Elle peut, et elle doit devenir une pièce maîtresse dans un projet d’émancipation. Mais, bien évidemment, pour cela il faut constamment réaffirmer que « leur démocratie n’est pas la nôtre ! ».

Politique partout, politique nulle part !
(Digression sur l’antipouvoir et sa résistance au biopouvoir de l’« Empire »)

Si l’on quitte le milieu anarchiste, cette double impasse de la nécessité et de la vérité demeure, bien qu’elle tende à se recomposer différemment. D’un côté, on assiste à une sorte de convergence entre les théories du « social » et celles de la « vie ». Certains courants de l’altermondialisme sont au point de jonction de ces manières de penser. Et certains cénacles intellectuels s’en font les artisans et les promoteurs : en gros, les postdeleuziens, les interprètes du Foucault tardif, les négristes… avec des points de convergence chez Benassayag (défenseur de l’action restreinte), ou Onfray sur le volet (post)moderniste, libéral et nietzchéen (encore que sa « ligne » politique soit simplement la reconstitution d’une Union de la gauche). Comme la politique est l’affaire du pouvoir, que le pouvoir est partout et insaisissable, et qu’il veut s’occuper de tout (bio-pouvoir), la lutte ne peut qu’être résistance au pouvoir… A ce pouvoir, on oppose donc la volonté d’exister. Le sujet n’est plus la classe mais la « multitude », tentative de créer, à partir d’un concept spinozien, une catégorie où se résumerait une puissance immanente de formes singulières de coopération et de communication entre des chairs multiples formant le corps de la métamorphose dans l’ordre du social et de la production (general intellect, travail immatériel dans le capitalisme cognitif). Dans les faits, la multitude n’est que la remise au goût du jour de la vieille force de travail négriste, dotée d’une puissance propre (« force » de travail, « force » d’autovalorisation…), et qui, dans le cadre de la production biopolitique qui comprend tous les aspects de la vie, ne peut se référer qu’à elle-même tout en étant le sujet commun du travail immatériel. Ontologiquement, elle incarne et substantialise une puissance du désir de transformer le monde – transformation du monde signifiant fusion progressive du social et du politique, dans le cadre d’une prédominance accrue du salariat intellectuel à l’heure de la post-modernité et du capitalisme postindustriel.
Dotées d’un avenir certain puisque réglées sur le développement de l’Empire (le capitalisme global intégré et sa sophistication technique), les multitudes se sont replacées dans un sens de l’histoire et deviennent une nouvelle figure héroïque du devenir humain se substituant au « prolétariat ». Mais cette fois sans viser au moindre renversement du capitalisme, Negri avançant que le système n’a plus besoin de capital, que celui-ci est d’ores et déjà dépassé par la montée du travail immatériel et cognitif !
Pas de pensée de la transformation/appropriation sociale à part une sorte de coopération, d’une mise en commun grâce à la gratuité et au partage des biens cognitifs, aucune critique des forces productives, de la technoscience, de ses contenus, de ses impacts, de ses fondements, mais au contraire une valorisation de leurs aspects prétendument émancipateurs (communication, Internet, informatique…), une vague référence à la puissance « instituante » de la multitude…
Ces conceptions se limitent de fait à accompagner et soutenir des formes de résistance aux abus de l’Etat (biopouvoir), ce qui est juste mais insuffisant. Elles ne proposent ni projet, ni méthodologie pour penser un anticapitalisme contemporain, une critique de l’économie productiviste, ni le moindre cadre conceptuel du « pouvoir commun » d’une politique autre. Dans les faits, ces conceptions trouvent un écho dans des expériences de lutte partielles : depuis l’héritage d’Act-Up (et ses dimensions vitalistes) jusqu’à la Coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-France (précaires intellectuels).
Ces thèses, du moins celles inspirées par la philosophie de la vie (Nietzsche, Bergson, Deleuze), de certains travaux de Foucault, d’une lecture immanentiste de Spinoza, trouvent des relais au sein du mouvement anarchiste. La figure la plus engagée dans ce travail semble être en France Daniel Colson [3], conforté sans doute par un « postanarchisme » nord-américain de filiation anarcho-syndicaliste ou syndicaliste révolutionnaire, avec l’action directe comme expression de la puissance d’exister dans la résistance, et le mouvement de masse comme lieu d’agencement des multiples.
Des relais existent aussi du côté d’anarchistes individualistes contemporains bien qu’ils se nourrissent d’une autre tradition : le romantisme, la vie comme œuvre d’art, que l’on a retrouvée chez les situationnistes, en passant par le surréalisme. Le romantisme introduit le pathos, les affects, l’amour dans des formes d’expression humaine où l’art est pensé comme vérité de l’être et incarnation du sujet. La conception romantique de la vie considère que celle-ci doit s’emparer pleinement de l’art, devenir une œuvre d’art qui sublime un refus du présent, l’expression d’une révolte contre la modernité, d’un mal-être, d’un déchirement entre le vécu et ses représentations, entre l’être et le monde, etc. S’exprime alors une nostalgie des temps anciens, mythiques, originels, quitte à les désacraliser, à les séculariser pour aspirer à la plénitude d’un au-delà de l’être, d’un au-delà du temps et de ses limites.

Le point commun de toutes ces conceptions, c’est déjà qu’elles ne sont pas bâties sur des objectifs à atteindre, autour d’un projet et des contours d’un devenir, mais sur l’examen de leur substrat social/individuel et sur ce qui lui est propre : leurs capacité, potentialité, puissance, essence, signification, etc., mais référées et enfermées dans l’étude parfois spéculative et ontologique de ces catégories et du sujet originaire, au fondement de tout, et dans des visées d’autoaccomplissement : les agencements du multiple des singularités (Colson), la puissance d’exister (Onfray), résister c’est vivre (Benassayag, No Pasaran)… Des visions en apesanteur, flottantes, de la force, des énergies, du désir, de la puissance du libre agencement spontané des volontés singulières dont les significations ou motifs sont à rechercher dans le recyclage d’un certain existentialisme avec les thèses de l’immanence (Spinoza), le « déjà-là » d’une capacité et d’une intelligence que chacun porterait dans ses flancs.
Tout est fait ici pour évacuer ou éviter le moment politique, la constitution d’entités collectives exprimant la capacité politique (la subjectivation de J. Rancière), la « politicité » des hommes et des femmes. Il ne s’agit pas ici d’invalider toute ces thèses, mais de pointer qu’elles ne traitent pas le sujet, qu’elles passent à côté de la problématique du social, du pouvoir, de la liberté, de l’égalité, c’est-à-dire de la politique.
La vie ne se réduit pas à sa dimension biologique étendue aux affects des élans du cœur ou aux désirs intimes et privés. Elle est quelque chose qui s’extériorise, se symbolise, acquiert des significations du fait d’une visibilité au sein d’une sphère sociale, du fait que par des actes et des paroles elle noue des relations avec d’autres vies à l’intérieur d’un espace commun. La politique, absente chez certains, est cette pensée sur la définition des espaces et des objets du commun, et sur les décisions à prendre à leur propos. Ces conceptions « autoréférencées », repliées sur les questions du sens de la vie, sur le questionnement identitaire et existentiel du devenir des singularités, se retrouvent tout aussi exacerbées chez certains insurrectionnalistes qui se rattachent à une tradition individualiste. Les actes et les mots ne sont plus l’expression d’un volontarisme politique exacerbé dans une morale de l’engagement [4], mais les signes d’une essence individuelle et collective (le rebelle comme figure du héros libéré de l’aliénation) et de l’idée apolitique qui l’anime : la transgression de la légalité, la rébellion, la vie supérieure comme moyens et comme fins.

Face à ces thèses du tout (et rien) politique de l’antipouvoir demeurent les partisans de la vieille conception de la prise du pouvoir d’Etat et du « socialisme du xxe siècle » : la tradition trotskiste du NPA, le chavisme… qui persistent à croire qu’une alternative à la gestion actuelle du pouvoir permettrait une transformation de la réalité sociale, vieille antienne réformiste sur laquelle il n’est pas besoin de s’attarder.
Pour notre part, nous défendons une politique de la rébellion et de l’émancipation sans surplomb moral ni définition anhistorique de ses contenus et de ses possibles, avec l’ennui que représentent parfois les rapports de forces à établir, les espaces de débat et de visibilité à construire, et les compromis à passer éventuellement avec ceux et celles qui ne pensent pas comme nous, mais avec qui nous partageons des luttes communes.
Mais aussi avec la revendication d’une contingence de la politique, au risque de son indétermination et de son absence de prévisibilité, d’une pratique de la liberté, au risque de sa fragilité, d’une confiance placée dans la capacité créatrice du « social-historique » (C. Castoriadis), débarrassée des déterminismes sociologiques.

Une réhabilitation de la politique
Pour nous, il s’agit de penser la démocratie comme condition et réalisation d’une politique contre l’Etat qui est aussi une politique pouvant se passer de l’Etat. Rien de très original en apparence pour qui se dit anarchiste ou « radical ». Et pourtant, en grattant un peu, on s’aperçoit que survit très bien dans nos milieux une tradition antipolitique et qu’elle est très répandue, et bien ancrée chez les anars et au-delà.
Cet antipolitique est la résultante de la pensée classique du politique qui se définit à partir de l’Etat, des formes du gouvernement, et des interrogations sur le bien gouverner. Cette réduction du politique à la domination a logiquement conduit à définir l’émancipation contre la politique, au nom de deux grandes catégories posées comme alternatives.

- le social
C’est en gros l’école syndicaliste révolutionnaire, prise dans une acception extensive, qui peut regrouper des « marxistes » comme des « anarchistes ». Le sujet de l’émancipation, c’est la classe prolétaire. Elle est sa propre libération, elle a des intérêts communs, des valeurs et des pratiques communes (la solidarité), et la politique est ce qui peut à la fois la diviser (différents partis avec différentes idéologies) et la maintenir dans la soumission (le ou les partis prenant le pouvoir d’Etat). Ici la politique, comme la religion, est renvoyée dans le champ privé des croyances et des idées. La vérité du social, et son fonds matérialiste, sa corporéité, tiennent dans les liens sociaux qui le définissent. La classe sociale opprimée se libère donc dans une révolution sociale : appropriation des moyens de production et d’échanges, gestion directe… Mais, issue d’une place dans la production, dans les rapports d’exploitation, la nouvelle société « dirigée » par l’ancienne classe exploitée n’est guère définie au-delà de l’autogestion, quand ce n’est pas tout simplement la gestion des entreprises par les syndicats. Le saut « politique », ou « machiavélien » [5] est un impensé, et pour cause ! La politique identifiée à l’Etat est déclarée néfaste, inutile pour solutionner la principale question qui les occupe : celle de la production des biens économiques. Ainsi, l’organisation des exploités, le syndicat, devient l’organisation de la nouvelle société des producteurs.

- la vie
Les vitalistes, c’est principalement le courant « artiste », même si nous avons vu qu’il procède aussi d’une origine plus philosophique. Là, le critère n’est plus la « classe », un être collectif soudé à lui-même par des intérêts communs, mais l’individu. Individu, être, étant, « être de l’étant », sujet, autant de termes assimilables ici… La Vie devient une catégorie d’emblée chargée de toutes les positivités, car elle n’est pas la mort et contient au contraire toutes les promesses de ce qui peut advenir.
Elle est un principe actif de créativité, de liberté, d’énergie, de puissance vitale dans un univers mondain abstrait qui est celui de la communauté humaine (soit l’Humanité, pas seulement dans son sens conceptuel mais bien dans sa signification quantitative : comme l’ensemble des êtres humains vivants). La vie est une œuvre d’art, et sa raison d’être est le sublime, un au-delà de l’être, une visée surhumaine ou suprahumaine, divine et extatique du dépassement de soi ou du moins du commun des mortels. La communauté humaine apparaît vite comme une projection, une pure hyperbole de la vie même, de l’élan vital et donc de l’individu. Et l’hédonisme comme un existentialisme totalisant.
Ici, la politique est rejetée et combattue parce qu’elle est responsable de la séparation (au sein de la communauté humaine comme de la conscience de chacun), et donc un instrument de l’aliénation (altération, dépossession, perte du sens, fausse conscience…). L’idéal recherché est la réunification de la communauté autant que la réunification de l’individu, le triomphe du vrai sur le faux, une densification des affects, la recomposition d’une totalité perdue, peut-être originelle, etc. Dans la pratique, la communauté humaine étant inaccessible, elle se réduit à la communauté des semblables, des identiques, des amis et des complices : le groupe affinitaire se substitue à la société politique.

Ces conceptions font toutes deux l’impasse sur ce qui fait ou peut faire la structure, les conditions, le fonctionnement d’une « cité » c’est-à-dire d’une communauté humaine concrète, d’une société, d’un groupe social en tant qu’il est une communauté politique, c’est-à-dire divisée.
La différence tient en ce que les tenants du social intègrent de fait une dimension du collectif humain réduit à l’activité économique, tandis que les autres s’en tiennent à une conception libérale de la liberté conçue comme possibilité d’une sublimation du moi...

Entre l’antipouvoir des révoltes partielles, des flux de désir, des réseaux « rhizomiques » et autres chewing-gums conceptuels filandreux, et le pouvoir d’Etat qui resterait à conquérir selon le vieux modèle socialiste, il y a largement matière à élaborer la proposition d’une politique contre l’Etat.

Une politique à réhabiliter d’autant plus que les dispositifs du pouvoir et les idées dominantes actuelles, l’imaginaire capitaliste et productiviste, œuvrent à la dépolitisation de la société et des enjeux qui la traversent. Un projet politique libertaire qui n’élude pas la question complexe du pouvoir, inhérent à toute forme de vie en société : le pouvoir que toute société exerce sur elle-même pour faire respecter ses propres règles et ses décisions. Un projet qui se démarque et s’oppose aux conceptions libérales de la liberté, et qui se confronte au principe de réalité, au fait qu’il faut bien tenir compte, dans toute société, de ce que tout le monde n’est pas du même avis, et qu’il faut bien trancher entre ces avis différents. C’est de cette division de points de vue, d’intérêts qu’émerge la politique à l’opposé du consensus, l’espace et le temps nécessaires au débat et à la prise de décisions, la mise en mots puis en actes de ce qui engage le devenir de toutes et tous dans le respect de chacun. Et qu’à ce titre la démocratie – une pratique qui permet que la politique soit l’affaire de tous et toutes – est bien le rempart à la barbarie concomitante de l’exploitation capitaliste et de la domination étatique.

des révolutionnaires
octobre 2009


Notes:
[1] Dans cette optique ont déjà été publiés : « Autour de Jacques Rancière : Eléments d’une politique de l’émancipation », CA n° 192, été 2009.
« L’anarchisme, entre libéralisme et “moment machiavélien” », CA n° 193, octobre 2009, Colectivo Contracultura - CILEP - Red Libertaria Popular Mateo Kramer (Bogotá)
« Autour des positions politiques d’Alain Badiou », sur le site de l’OCL http://oclibertaire.free.fr
[2] Pour exemple : « Le démocratisme, l’idéologie de la démocratie, qui a régné sur les AG, a produit toute une série de limitationS, de freins au développement d’un mouvement fort, capable de rechercher et d’obtenir plus que le simple retrait d’un bout de projet de loi », Les mouvements sont faits pour mourir…, Editions Tahin Party, mars 2007, p. 15.
[3] Cf. « L’anarchie, cette étrange unité qui ne se dit que du multiple », in Petit lexique philosophique de l’anarchisme, de Proudhon à Deleuze, « Biblio essais », Livre de Poche, 2001.
[4] Volontarisme politique tel qu’il pouvait surgir lors de la création de la RAF – guérilla de l’Allemagne des années 1968-1980 – ou des Tupamaros et du guevarisme : « Le rôle de tout révolutionnaire est de faire la révolution. » En assignant aux « révolutionnaires » de modifier par leurs actes les conditions objectives et subjectives du rapport de forces politique, et de parvenir à provoquer ainsi une situation révolutionnaire, ce volontarisme-là contenait tous les germes et les traits du substitutisme.
[5] Cf. Courant alternatif n° 193, « L’anarchisme, entre libéralisme et “moment machiavélien” ».

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