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Hommage à Jn Anil LOUIS-JUSTE, un homme de bien sauvagement assassiné le 12 janvier 2010

category amérique centrale / caraïbes | la gauche | presse non anarchiste author Friday May 14, 2010 05:54author by Serge Michel Pierre-Louis - AlterPresse Report this post to the editors

Vous avez dit homme de bien ?
Oui bien sûr, c'est ce que j'ai dit.
Vous me regardez un peu étonné ?
Mais tout à fait, mon ami.
S'agissant de mon pays, je peux comprendre votre étonnement.
In « Dérives permanentes » de Semi

Cent quatorze (114) jours se sont déjà écoulés depuis l'assassinat de Jn Anil LOUIS-JUSTE dont le 6 mai dernier marque le cinquante-deuxiè me anniversaire de naissance. Avec une formation de base en sciences agronomiques, Janil pour les intimes, a travaillé pendant environ une douzaine d'années en tant que professionnel de l'agriculture en apportant tour à tour sa collaboration dans la production agricole, l'élevage, et surtout dans l'appui organisationnel. Il s'était toujours signalé par sa compétence, son sérieux, son application et son sens de la critique. Il a été l'un des jeunes diplômés, si ce n'est l'unique, à avoir produit une proposition relative à la réorganisation en profondeur du service civil en agronomie, institué par loi du 21 mai 1973. Beaucoup d'années plus tard, un ancien responsable de Damien, un peu désabusé m'a montré une copie dudit texte qui dit-il, à l'instar d'autres crues de jeunes de l'époque, symbolisait à ses yeux l'avènement imminent d'une génération qui allait bouleverser la donne.

Depuis sa tendre jeunesse, Janil s'était toujours intéressé à la recherche, au changement, à l'amélioration des choses. Dans l'exercice de la profession d'agronome, à côté des différentes missions exécutées dans la plupart des départements du pays, il avait travaillé tour à tour à Hinche, à Petit Goave, et à Bassin Bleu. Il fut un membre très actif de l'Association Nationale des Agro-professionnels Haïtiens (ANDAH) et du Groupe de Recherche et de Développement (GRD). La réflexion critique à laquelle il soumettait toujours les objectifs, les stratégies et les actions des institutions où il fournissait ses services ne lui a pas toujours valu l'admiration de ses pairs ou de ses supérieurs hiérarchiques. Cependant, il s'était fait toujours respecté pour sa rectitude, ses capacités autant techniques qu'intellectuelles, et son sens du devoir.

Très vite, les sciences agronomiques allaient se révéler insuffisantes pour Janil dans sa quête permanente d'idées et d'instruments d'appréhension des réalités socioéconomiques du pays et de propositions à la construction de solutions viables. Il s'est donc tourné vers la philosophie, les sciences sociales et politiques, d'abord à travers des recherches personnelles, des échanges avec des amis et une relecture assidue et soutenue des penseurs dont les idées ont fortement influencé l'évolution du monde. Ensuite, il s'est inscrit à la Faculté des Sciences Humaines où il a obtenu une licence en service social qu'il a complétée par des études de doctorat au Brésil. Il fut professeur à l'Université d'Etat d'Haïti où il enseignait notamment les théories sociologiques, les sciences environnementales, la méthodologie de la recherche. Des cours de journalisme pris à distance pendant deux années, lui avaient permis de disposer de certaines techniques qu'il a su bien utiliser en particulier dans ses communications tant orales qu'écrites.

Voici en quelques phrases le potentiel construit sur environ un demi-siècle que des mains assassines ont anéanti en l'espace de quelques secondes dans l'après-midi du 12 janvier 2010. Pourtant, ce ne sont pas ces caractéristiques qui font de Janil un personnage exemplaire, et digne d'admiration. D'ailleurs la planète terre compte de nombreux professionnels et intellectuels de grande compétence mais qui sont considérés comme des fossoyeurs du genre humain. Ce qui rend le personnage hors du commun et tout à fait remarquable c'est 1) son esprit d'abnégation, 2) ses profondes et sincères convictions, 3) son amour des masses opprimées et sa soif de justice pour les pauvres.

1. L'esprit d'abnégation de Janil

Les quinze (15) dernières années de la vie de Janil étaient particulièrement marquées par un don de soi qui s'apparentait pour certains à un suicide. Il a mené une vie très simple organisée autour du minimum nécessaire pour son entretien personnel et celui de sa famille. Il a passé le clair de son temps à dispenser des cours à l'Université, à produire des travaux de réflexion sur des thématiques d'importance pour la société haïtienne, à animer des débats, à organiser des séminaires, à encadrer des jeunes et à apporter sur demande son appui à des organisations de base tant en milieu rural qu'en milieu urbain. Il aurait pu, de par ses grandes capacités techniques et intellectuelles, valoriser ses heures libres autrement en les consacrant à des activités lucratives, comme la réalisation de consultations par exemple. Il a choisi de préférence de mettre ses connaissances au service de la jeunesse et des masses nécessiteuses. Il disait de temps en temps qu'il avait une dette morale envers le pays parce qu'il a réalisé l'ensemble de ses études aux frais de la République. Il était toujours prêt à partager le peu qu`il avait et se portait généralement volontaire en toute circonstance où il pouvait apporter son aide. Autant que je me rappelle, il avait vendu sa dernière voiture, un Raider 4x4 pour venir en aide à un neveu qui était dans l'embarras. Depuis lors, il était redevenu piéton, s'adonnant à ses différentes activités à pied, en taxi ou en camionnette. Il était très sollicité des étudiants dont la plupart l'affectionnaient beaucoup. Cet homme fut d'une austérité et d'une générosité remarquables.

2. Ses profondes et sincères convictions

Janil avait développé en lui une haute conscience politique, fruit d'un ensemble d'efforts et de sacrifices organisés autour d'une rééducation permanente sans cesse remise en question et une mise à l'épreuve à tout instant. Il avait très vite compris la nécessité d'une transformation idéologique indispensable à toute rupture d'avec un système qui forme les gens pour maintenir et reproduire l'exploitation économique, la domination sociale et la discrimination culturelle. Les œuvres de beaucoup d'intellectuels progressistes lui ont certainement beaucoup aidé à réaliser cette renaissance. Toutefois, Marx a joué chez lui un rôle éminent dans cette transformation recherchée pour le respect de l'humanité. En admettant que la pensée marxienne a le plus enrichi les mouvements de libération dans le monde, Janil avait choisi de s'abreuver à cette source qui, selon ses propres termes, permet d'irriguer le sol sec de la contradiction antagonique par la production d'un monde juste, humain et libre. Dans ses recherches, comme dans ses écrits, Janil a souvent privilégié la méthode marxienne d'investigation sociale. Pour lui, la pensée de Marx, en tant que penseur par excellence de la concrétude, a beaucoup contribué à démystifier la réalité sociale. Pourtant, il a refusé d'être considéré comme un marxiste tout en reconnaissant qu'il partage une étroite relation avec la pensée marxienne. Il ambitionnait par contre de devenir communiste. Il avait choisi de mettre la recherche de l'épanouissement de l'être humain au centre de ses préoccupations. Pour lui, l'homme doit se protéger de tout asservissement et lutter en permanence contre tout ce qui fait obstacle à son plein développement.

C'est en grande partie sur ce socle qu'ont reposé les convictions profondes de Janil. Elles sont articulées notamment autour de la lutte pour l'égalité et la justice sociale, la rencontre de l'individu et de la société en vue de la réalisation pleine et entière de tous. Par delà la mort, Janil est l'un des rares intellectuels progressistes haïtiens à avoir fait de leurs convictions un mode de vie. A l'instar de Guevara, Cabral, Lumumba, Peralte, qu'il affectionnait particulièrement, il a toujours voulu donner l'exemple de l'homme nouveau. Loin de moi l'idée de comparer Janil avec ces géants de l'histoire, il faut toutefois reconnaître, sans présomption aucune, qu'il était tout aussi politiquement avancé que ces grands leaders. La simplicité de son mode de vie le protégeait de l'appât du gain tout en le gardant éloigné des dérives qui entameraient ses profondes convictions. Le fait par cet ingénieur-agronome d'avoir choisi l'enseignement comme principale activité participait d'une forte volonté d'autonomie tant dans ses réflexions que dans la plupart de ses actions. Rappelant sans cesse que la théorie et la pratique entretiennent des rapports dialectiques, le maintien de la relation de l'acte et de la parole était pour lui une obsession. Ce fut un homme libre, le maître de son destin, le capitaine de son âme. Il était d'une grande honnêteté et rejetait les privilèges même les plus anodins. Le cadre de ses proches amis correspondait en grande partie à celui de ses compagnons de lutte. Il était aussi un peu idéaliste. Pour lui, en dehors de la lutte contre l'oppression et l'exploitation de ses semblables, il n'y a pas de vie, le bonheur est pluriel. Il a placé les valeurs qui forgent ses convictions au-delà de la survie. En ce sens, il avait choisi de vivre et mourir s'il le faut pour autrui, notamment pour ceux qu'il appelle « les subalternes de la société ».

3) Son amour des masses opprimées et sa soif de justice pour les pauvres

Les conditions déplorables dans lesquelles la majorité de la population haïtienne a toujours vécu représentaient un objet de préoccupation permanente pour Janil. Son origine sociale et le cadre de réalisation de ses activités professionnelles lui avaient valu le déplaisir de vivre de front le dénuement, la douleur et la détresse des masses. Sa sensibilité naturelle l'avait empêché non seulement de rester indifférent à cette situation mais aussi et surtout l'a porté à donner à sa vie de nouvelles motivations et une orientation qu'il a gardée jusqu'à sa mort tragique. Il disait souvent, en se référant à sa formation académique, que le mérite revenait en grande partie au peuple qui en a largement contribué. Il s'était toujours considéré débiteur envers les masses nécessiteuses et s'efforçait constamment de solder ses comptes. C'est assurément à l'appui de cette conviction qu'il a passé une bonne partie de son temps à bien comprendre les mécanismes d'asservissement des masses exploitées, à les dénoncer et à œuvrer pour leur démantèlement. Il était toujours soucieux de rafraîchir les lisières de sa formation idéologique et politique afin d'éviter tout décalage avec l'évolution des idées et des réalités et d'être en mesure d'apporter un appui à la hauteur des impératifs du moment.

On pouvait retrouver son amour des masses opprimées à travers les rapports de grande humilité et d'affection entretenues avec tous ceux ou celles qu'il avait le loisir de travailler. Cet amour s'exprimait aussi dans l'appui constant apporté à beaucoup d'organisations paysannes et de tant d'autres groupements urbains en vue de les accompagner dans la recherche de solutions endogènes et viables à leurs problèmes. Dans la mesure du possible, la plupart des forums étaient valorisés pour expliciter la problématique de l'oppression des masses haïtiennes et pour rechercher la masse critique nécessaire à un renversement de situation. En ce sens, Janil a laissé, pour autant que je sache, une documentation abondante constituée notamment d'ouvrages, d'articles de journaux, de fascicules, de conférences-dé bats, d'interventions à la radio. A l'Université d'Etat d'Haïti, il n'avait jamais eu de cesse d'accompagner la jeunesse qu'il considérait comme la couche politique contestataire de la société haïtienne. Il pensait que les étudiants sont naturellement interpellés par la question sociale haïtienne, d'autant plus qu'ils connaissent la faim, la maladie, la privation. Réalisant que l'éducation comporte une dimension politique importante, il se faisait un devoir et un plaisir d'encourager les jeunes à orienter leur formation de manière à développer des capacités en vue de changer les rapports de force qui conditionnent la situation d'oppression et d'injustice caractérisant la société haïtienne. A cet effet, aucun effort n'a été ménagé dans les différentes initiatives (appui à la structuration et au fonctionnement de groupes de réflexion et d'action, séminaires, conférences, etc.) qu'il a prises pour aider à une transformation idéologique capable d'inventer des solutions durables aux problèmes de fond du pays.

Janil était-il un saint pour autant ?

Je vous répondrai non sans hésiter. A côté de ses grandes qualités, Janil avait aussi ses faiblesses. D'ailleurs, qui n'en a pas ? A mon sens, quatre points peuvent être évoqués pour souligner les faiblesses qu'on pouvait relever chez Jn Anil LOUIS-JUSTE.

1) Il était franc et direct

Janil était un homme qui ne travestissait pas ses pensées pour s'accommoder de certaines convenances sociales qu'il qualifiait d'ailleurs de bourgeoises. En général, il disait sans détour ce qu'il pensait des choses et surtout des gens. Il ne faisait pas dans la dentelle lorsqu'il devait exprimer ses opinions sur des sujets jugés importants. Il appelait un chat un chat surtout si celui-ci ne pouvait pas attraper de souris. Ce trait de caractère dérangeait plus d'un dans la mesure où il est reconnu que toute vérité n'est pas bonne à dire. Cependant, il l'assumait pleinement parce qu'il reconnaissait que son franc-parler constituait un problème pour ceux qui le côtoyaient.

2) Il manquait à Janil un peu de tolérance

Souvent Janil combattait avec véhémence les idées et les actions qui ne s'accommodaient pas de ses convictions politiques et de ses choix idéologiques. En tant que penseur impénitent, il a réfléchi sur des thématiques d'intérêts divers. Parmi lesquelles, on peut mentionner : la crise sociale haïtienne, les universités en Haïti, la jeunesse, la paysannerie, l'internationale communautaire, la presse, la politique. L'argumentation souvent solide et implacable ne fait en général pas de quartier aux défenseurs de positions contraires ou mitigées. A propos de Roger Michel qui intervenait pour calmer le jeu dans ses échanges avec Marc A. Archer sur le combitisme, il écrit, notamment, « la rationalité aménagiste de Michel semble se déployer dans un vide déconcertant ». Dans un article sur les travailleurs de la Presse, il affirme sans détour que des pratiques de journaliste- reporter manquent terriblement d'empathie, de civisme et d'éthique. Ce qui, entre autres, avait fait perdre les pédales à un compatriote qui a qualifié l'article de simpliste, de trivial tout en s'en prenant à l'auteur lui-même. Janil avait parfois une certaine tendance à mettre davantage en évidence les failles des opinions exprimées et des initiatives prises par d'autres en ce qui concerne la problématique de la crise sociale haïtienne. En ce sens, il donnait l'impression à quelques-uns d'être trop suffisant.

3) Il était un radical

Janil était tout à fait allergique à la qualité et à la nature des réponses habituellement données à des problèmes majeurs du pays et qui, en toute évidence, ne faisaient et ne font qu'empirer la situation. Il ne se montrait pas suffisamment souple envers des idées ou des actions qui, malgré leur caractère apparemment réformiste, pouvaient être considérées comme une sorte d'avancée dans le paysage politique. Il démontrait avec force d'argumentation que les programmes et pratiques d'animation de certaines organisations paysannes ne pouvaient transformer les rapports injustes existants. Il en fit de même pour les interventions de la plupart des ONG ainsi que pour certaines organisations politiques. Il ne reconnaissait aucune idéologie, aucun système politique qui soit capable d'améliorer les conditions des couches sociales majoritaires, s'ils ne touchent pas la quintessence des problèmes. Il était radical. Il assumait parfaitement son radicalisme en s'appuyant sur Marx qui a dit « Etre radical, c'est aller à la racine des choses »

4) Il adorait trop la polémique

Janil affectionnait particulièrement les débats d'idées qui lui permettaient à la fois de défendre ses thèses et ses points de vue à travers une argumentation souvent musclée et complexe et aussi de pouvoir affaiblir ceux de ses interlocuteurs. Dans beaucoup de ses textes, on peut noter une réelle volonté de polémiquer. Il agissait à l'instar d'un boxeur qui envoie à l'adversaire des coups assommants et en même temps s'organise pour le taquiner et le porter à s'énerver. C'était le Mohamed Ali de la dialectique. Dans sa polémique avec Archer sur le combitisme, il le traita de physicien-houngan. Ce qui n'a pas été du goût de celui-ci qui, à son tour, qualifia Janil de fondamentaliste. Dans « quand l'orgueil obscurcit la pensée », il écrit que John Picard Byron utilise le procédé de l'amalgame pour cacher sa propre position. Plus loin, dans le même texte, il reprit les propos de Byron sur des valeurs républicaines relatives à l'organisation d'élections au Rectorat de l'UEH pour demander à ce dernier de l'apprendre à comprendre ce qu'est essentiellement la République. Il était d'un humour caustique et d'une ironie mordante. Le contrat social du groupe des 184 est qualifié par lui de tentative de mise en branle d'un processus d'exploitation des masses populaires sous base consensuelle. Les communistes haïtiens sont traités de subalternes sur l'échiquier politique. La vision exprimée par Kolektif Solidarite Idantite ak Libète (KSIL) dans « Nan inite istorik tout pèp la, an nou repran chemen liberasyon pou nou konstwi nasyon an » est qualifiée d'illusion politique. La gauche haïtienne est considérée comme une sorte d'excroissance qui s'est développée presqu'exclusivemen t en dehors des masses haïtiennes. En tant que penseur libre, Janil ratissait large et même très large. Mais, ne ratissait-t- il pas trop large ?

Jn Anil LOUIS-JUSTE n'était ni un saint ni un démon. C'était tout simplement un homme de bien

Il faut avouer que certains traits de caractère considérés en Haïti comme des faiblesses dans leurs manifestations, même s'ils seraient quelque part dérangeants, sont recherchés sous d'autres cieux pour leur nature contestataire. Malheureusement en Haïti, nous ne sommes pas encore là. Dans beaucoup de secteurs de la société haïtienne, on retrouve des gens que les prises de position de Janil mettaient mal à l'aise. Sa grande honnêteté, son intégrité et sa verticalité sont considérées comme une nuisance dans ce pays gangrené par la corruption. Il agaçait les responsables politiques qui ne veulent rien faire pour changer le statu quo. Il irritait les promoteurs et supporteurs, haïtiens et étrangers, d'une idéologie qui privilégie le marché au détriment de la vie. Sa sincérité dans la lutte contre l'asservissement des masses déroute les « professionnels de la révolution ». Il renvoyait leurs propres images à ceux qui font de la militance de gauche leur gagne-pain ou tout simplement un instrument d'ascension sociale, et croyez-moi, ces images sont franchement hideuses.

Malheureusement, il y avait aussi des hommes et des femmes de bien qui n'avaient pas beaucoup de sympathie pour Janil. Je voudrais, à titre d'exemple, me référer à cette grande dame de la presse haïtienne, digne d'admiration et qui a consacré sa vie à défendre les valeurs démocratiques. En annonçant la tragique nouvelle, elle a profité pour dire que tout le monde n'était pas toujours d'accord avec Janil. A mon humble avis, ce n'était pas à propos. Loin de moi l'idée de faire la leçon à quiconque, mais il paraissait plus opportun d'attirer l'attention sur le caractère abject de l'acte et le contexte politique qui l'alimente. Il y a aussi ce professeur de la Faculté des Sciences Humaines de l'UEH qui, après avoir annoncé la nouvelle à un groupe d'étudiants, termina pour dire : « de toute façon, la vie continue ». Il avait sans doute oublié qu'il s'agissait de l'assassinat d'un collègue du même établissement. Sans vouloir prêter des intentions malhonnêtes à ces commentaires, il faut toutefois reconnaître qu'ils témoignent d'un certain malaise par rapport à Janil. Peut-être, le fait de se sentir incarner un exemple fit développer chez Janil une attitude qui pouvait s'interpréter comme de l'arrogance. Peut-être aussi sa sévérité envers lui-même l'empêchait d'user de la tolérance envers certaines personnes qui, à leur façon, luttent pour un type de changement pour le pays. Enfin se peut-il bien que son esprit critique, son amour de la dialectique, ait généré des attitudes et des comportements jugés inadmissibles. De toute façon, dans un cas, comme dans l'autre il est regrettable que cela soit ainsi. Janil m'a toujours considéré comme quelqu'un qui n'a pas pu s'affranchir de l'aliénation du système dominant. Il m'a toujours vu comme un petit-bourgeois limité dans mes convictions idéologiques. Toutefois, cette appréciation n'enlève et n'enlèvera rien de ma profonde admiration et de ma grande fascination pour ce personnage hors du commun qui a vécu et qui est mort assassiné pour ses semblables.

L'assassinat de Janil est arrivé environ une heure avant le terrible tremblement de terre du 12 janvier 2010. La tragédie qui s'en est suivie a relégué à l'arrière plan ce crime odieux. Nous sommes absolument certains qu'il n'est pas mort pour rien, car le flambeau est déjà repris par la jeunesse militante du pays.

En Janil,
J'ai perdu un ami, un frère
L'Université a perdu un professeur éminent, un producteur impénitent, un chercheur passionné
La Jeunesse a perdu un guide, un phare
Les pauvres, les déshérités ont perdu un défenseur farouche
Le pays a perdu une ressource rarissime
L'humanité a perdu une lumière.

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