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Globalisation et Développement d’Haïti (1 de 2)

category amérique centrale / caraïbes | Économie | presse non anarchiste author Friday July 12, 2013 18:06author by Leslie Péan Report this post to the editors

Création de la première globalisation qui a fait suite à la « découverte » de l’Amérique en 1492, soit 71 ans après le voyage de l’amiral chinois Zheng He (1) en 1421, Haïti constitue en même temps une rupture avec le mouvement de subjugation et de contrôle des peuples par l’Occident chrétien. De la route de la soie empruntée par Marco Polo en 1271 à celle des épices liant l’Europe, l’Afrique et l’Asie va succéder le commerce triangulaire reliant l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. Pour des raisons sociohistoriques, Haïti n’a pas pu ouvrir ses frontières pour accueillir les Blancs au cours des 18e et 19e siècles, comme ce fut le cas avec les grandes migrations qui ont contribué au développement de pays tels que les Etats-Unis d’Amérique. Très tôt, des débats ont eu lieu au sein des élites haïtiennes sur l’octroi du droit de propriété aux Blancs. Le racisme anti-noir dominant à l’échelle mondiale place Haïti dès sa naissance dans un univers sans avenir.

Les élites haïtiennes se battent contre la pensée européenne des Gobineau qui martèle l’infériorité des Noirs pour tenter de justifier, sinon l’esclavage, l’asservissement colonial. Des moments importants de ce combat sont l’appui donné par le gouvernement de Fabre Geffrard à l’abolitionniste John Brown en 1859 au point de baptiser la plus grande avenue de la capitale Avenue John Brown et de collecter 20 000 mille dollars pour sa veuve. On vit alors des Haïtiens tels que Prosper Élie, Louis Audain, Exilien Heurtelou échanger des correspondances avec Victor Hugo et se serrer les coudes pour appuyer la lutte de John Brown (2). D’autres éminents haïtiens continueront le combat contre le poids lourd du passé raciste dans le présent avec Louis Joseph Janvier et Anténor Firmin dont l’ouvrage « De l’égalité des races humaines » brille encore et tranche avec la grisaille des préjugés raciaux et de couleur.

Les luttes politiciennes exécrables dans lesquelles la mort rodait à chaque carrefour contribueront à atténuer le nationalisme au point que nombre d’Haïtiens qui n’avaient jamais laissé Haïti se déclaraient étrangers (à l’époque, on se disait Français) pour rester en vie (3). Cette aspiration à être étranger chez soi sera assez forte au point de combattre toute tendance xénophobe. Le refus du droit de propriété formel aux Blancs n’empêchait le développement des activités des hommes d’affaires allemands, français, anglais et américains. Ces investisseurs étrangers s’implantent dans certains secteurs tels que le sucre, le café, la coupe des bois, les chemins de fer, les usines électriques, la banque et la gestion des ports. Le fondamentalisme dessalinien a été mis en sommeil au point que, lors du Procès de la Consolidation de 1904, il fut conseillé au président Nord Alexis de kase fèy kouvri sa, car il s’agissait d’étrangers en lui expliquant « les mille dangers qui en résulteraient, et surtout l’exécrable renommée dont la presse européenne ne manquerait pas de le couvrir (4). » Toutefois, les Constitutions haïtiennes ont gardé l’abolition de la propriété pour l’homme blanc jusqu’à l’occupation américaine de 1915. D’ailleurs, la Constitution de 1918 a été écrite par les Américains et imposé aux Haïtiens.

Essentiellement, les capitaux sont faibles au cours de ce premier siècle de la nation haïtienne. L’économie haïtienne n’a jamais pu s’affranchir de son héritage colonial. Ce dernier s’est même renforcé quand en 1825, le gouvernement mulâtriste de Boyer a accepté de payer 150 millions de francs à la France, tout en réduisant de moitié les droits de douane devant être payés par les navires marchands français en Haïti. De plus, Haïti sera obligée de contracter un emprunt de 30 millions de francs pour payer la première échéance de cette dette. L’ignorance des élites haïtiennes conduit d’une part à la diminution des capitaux disponibles en Haïti, mais d’autre part, cette ignorance crasse et sordide renforce la dépendance de l’économie haïtienne et sa vulnérabilité aux crises, à un moment où la première grande crise du capitalisme international se produit en 1825.

Le deuxième coup fatal porté à l’accumulation est donné par le gouvernement noiriste de Salomon qui livre la gestion des finances haïtiennes à la Banque Nationale d’Haïti entièrement contrôlée par la banque française Société Générale de Crédit Industriel et Commercial en 1880. Les quelques entreprises haïtiennes qui se développaient dans les secteurs du tabac, du sucre, du café, du cuir, de la glace, des vêtements, du bois, des vivres, des confiseries, des médicaments et du transport maritime ne trouveront pas de financement auprès de la banque française. Bien-Aimé Rivière, dit Mémé, est un prototype de ces entrepreneurs haïtiens de la fin du 19e siècle. La banque financera plutôt le gouvernement au détriment du secteur privé. D’ailleurs, le gouvernement de Salomon devait massacrer un grand nombre de ces entrepreneurs privés (5) au cours des journées sanglantes des 22 et 23 novembre 1883.

L’inféodation aux intérêts étrangers

Tout au cours du 19e siècle, le café est l’épine dorsale de l’économie haïtienne. La conjoncture économique dépendait des prix du café sur le marché international. Quand les prix étaient à la hausse, l’État avait des ressources additionnelles, mais ces hausses n’ont jamais été suffisantes pour compenser les périodes de baisse. Ce qui laissait l’État dans une situation de déficit structurel qui l’obligeait à contracter des emprunts extérieurs tels que ceux de 1875, 1896, 1910, 1922 dont les produits étaient souvent dilapidés. Sans compter les nombreux emprunts intérieurs. Par exemple, le gouvernement haïtien a emprunté des commerçants allemands 674 000 dollars en 1911 au taux d’intérêt de 81%, 609 000 dollars en 1913 au taux de 78% et 525,000 dollars en 1914 au taux 60%. Ce n’est qu’en 1948 sous le gouvernement de Dumarsais Estimé qu’Haïti est arrivée à se débarrasser de la tutelle financière. Au fait la substitution de prépondérance connue par Haïti, de l’Europe aux États-Unis d’Amérique, à partir de l’entrée en force des Américains avec le contrôle de la Banque d’Haïti par les intérêts financiers de la City Bank en 1910, ne change rien à la conviction absolue des élites de leur inféodation aux intérêts étrangers. L’occupation américaine 1915-1934, les deux guerres mondiales entrecoupées par la crise de 1929 ont définitivement placé Haïti dans le giron nord-américain comme le veut la doctrine de Monroe. Mais tandis que les dirigeants américains vont profiter de la conjoncture de crise pour adopter une politique économique nationaliste chez eux, les dirigeants haïtiens feront tout le contraire. En effet, le président Roosevelt une fois arrivé au pouvoir, un mois après, institue le Gold Confiscation Act du 5 avril 1933 qui saisit l’or monétaire et prend ses distances vis-à-vis de l’étalon-or. Ensuite, Roosevelt consolide les mesures protectionnistes les plus extraordinaires de l’histoire américaine prises par ses prédécesseurs, d’abord le président Harding avec le Tariff Act de 1922 (augmentant les droits de douane à l’importation de 38%) et par le président Hoover avec le Tariff Act de Hoover de 1930 (augmentant les droits de douane à l’importation de 59%), soit 97% en dix ans. L’appareil de production des Etats-Unis étant réorganisé et au niveau supérieur de la compétitivité, le président Roosevelt pouvait négocier avec n’importe quel pays pour baisser les tarifs douaniers sur la base de la réciprocité.

Les dirigeants haïtiens par contre au cours et après l’occupation se révèlent incapables d’une prise de conscience de leurs propres intérêts nationaux. La politique tarifaire haïtienne est totalement liée à la Convention du 16 septembre 1915 qui stipule dans son article IX que « la République d’Haïti, à moins d’une entente préalable avec le président des Etats-Unis, ne modifiera pas les droits de douane d’une façon qui en réduirait les revenus ; et afin que les revenus de la République puissent être suffisants pour faire face à la dette publique et aux dépenses du gouvernement … (6) ». Depuis l’affaire du Machias du 28 décembre 1914 au cours duquel les Marines américains débarquèrent à la place Geffrard à la capitale pour confisquer la réserve d’or d’Haïti qui était à la Banque de la République d’Haïti sous administration américaine, les finances haïtiennes sont en chute libre.

C’était l’époque où les États-Unis avaient une grande soif d’or. En effet, la thésaurisation de l’or par les Américains a connu une courbe ascendante passant de 15% des réserves mondiales en 1913 (année de création de la FED, la banque centrale américaine) à 30% de ces réserves d’or en 1920, puis à 44% en 1932, à 60% en 1933 et 75% en 1947. Les contradictions de l’impérialisme américain investissant massivement à l’étranger au cours des années 50 et les 300 millions de dollars de dépenses de la guerre du Vietnam (1963-1973) conduiront à la réduction du stock d’or américain garantissant le dollar.

On a récolté ce qu’on a semé

L’appel du jeudi 4 février 1965 du Général de Gaulle demandant aux Américains de lui remettre de l’or en échange des dollars accumulés par la France est un signal qui sera suivi par de nombreux pays. Les Américains, qui avaient accumulé les trois quarts des réserves d’or du monde, vont se retrouver sans or pour garantir le dollar au point d’être obligés de suspendre la conversion du dollar en or sous le président Nixon en 1971. La crise monétaire était ainsi ouverte, car les Etats-Unis achètent depuis lors le reste du monde avec du simple papier qu’ils peuvent imprimer à volonté. Alors les États-Unis vont dorer la pilule en remboursant les détenteurs de dollars avec des bons du Trésor qui sont rémunérés. Il n’empêche que cette politique monétaire est une fuite en avant. En effet, en 1971, il y avait 30 milliards de dollars de bons du trésor. Aujourd’hui, en juin 2013, les bons du Trésor américain sont de 11 000 milliards de dollars dont 50% sont détenus par des étrangers. Cette situation s’est encore aggravée avec la crise des bons pourris (subprime) commençant en 2007 et qui se répercute en crise du crédit, avant de devenir avec les problèmes de l’euro, une crise internationale.

La dérégulation a conduit au « renard libre dans le poulailler libre » avec une corruption semée dans tous les recoins des marchés financiers incluant produits opaques, paradis fiscaux, normes comptables à géométrie variable, et des agences de notation donnant des triple A sans aucun fondement. « On a récolté ce qu’on a semé », telle est la conclusion de la Financial Crisis Inquiry Commission (7). La corruption est plutôt vue comme de l’huile pour graisser les rouages des marchés de la globalisation qui repartent à la hausse. Les transactions sur le marché des produits dérivés sont de 632 trillions de dollars (ou encore 632 000 milliards de dollars) (8) en décembre 2012, soit près de dix fois le produit intérieur brut (PIB) mondial.

On comprend donc l’illogisme profond de ces forces qui refusent toute régulation de l’État. Il n’empêche qu’elles font appel à l’État quand cela les arrange. C’est le cas avec les injections de 3 500 milliards de dollars par la FED depuis septembre 2008, filon connu sous le nom d’assouplissement monétaire (quantitative easing) pour sauver les marchés boursiers et obligataires. Une politique monétaire illusoire agitant le spectre de l’hyperinflation comme on l’a vu, entre autres, en Allemagne en 1933 où les prix doublaient tous les trois jours ou encore, plus près de nous, au Zimbabwe en 2008 où les prix subissaient le même sort chaque jour.

Le rythme d’émission de 85 milliards de dollars le mois de la FED depuis le mois de janvier 2013 crée « une embellie pour les marchés financiers (9) », arrange les riches spéculateurs, mais ne contribue pas à créer de l’emploi ni à relancer l’économie. Ce que le prix Nobel Joseph Stiglitz nomme « la confusion de la fin et des moyens » (10). En effet, les transactions financières battent tous les records. Comme l’indique la Banque des Règlements Internationaux (BRI), les transactions sur le marché des changes (entre le dollar, l’euro, le yen, la livre et le franc suisse) ont doublé depuis 2004, alors que ce n’est pas le cas pour le produit intérieur brut (PIB) mondial (11) Ces transactions quotidiennes ont augmenté de 50 milliards de dollars en 1971 à 1 900 milliards en 2004 et à 4 700 milliards en 2011 (12). L’humanité fait face à une nouvelle guerre des monnaies.

Entretemps en Haïti, les instruments de taxation utilisés par l’État marron ont consisté à serrer la corde autour du cou du paysan producteur de café à travers l’imposition de la taxe d’exportation (13), avec ou sans fondamentalisme culturaliste. Ce sont les ressources financières dégagées par cette taxe tant décriée que l’occupant américain a maintenu par pragmatisme budgétaire, tout en sachant parfaitement bien qu’Haïti ne saurait se développer ainsi. Comme l’écrit le Conseiller Financier-Receveur Général, Sidney de La Rue en 1930, « L’administration sentait que les droits à l’exportation étaient fondamentalement malsains dans leur principe et constituaient un obstacle dangereux à la réhabilitation économique du pays (14). » Cette taxe à l’exportation du café qui représente 50% du prix payé au producteur paysan sera finalement abolie en 1985, soit 55 ans plus tard.

Pendant toute la dictature des Duvalier, l’absence d’épargne publique est due essentiellement à la corruption et aux comptes spéciaux utilisés pour détourner les recettes publiques. Au départ des Duvalier, Haïti se retrouve avec près de 800 millions de dollars de dettes qui n’ont servi qu’à augmenter la misère et la migration de la population vers la capitale et à l’étranger. L’économie haïtienne a subi toutes sortes de chocs, depuis la diminution des terres agricoles occasionnées par la SHADA sous le gouvernement d’Élie Lescot de la période 1941-1945 à l’assaut contre l’agriculture vivrière développée par l’USAID proposant plutôt la promotion de l’agro-industrie pour l’exportation et les industries d’assemblage. (à suivre)

(1) Gavin Menzies, 1421- l’année où la Chine a découvert l’Amérique, Paris Intervalles, 2007.

(2) Léon-François Hoffmann, Victor Hugo, John Brown et les Haïtiens, Nineteenth-Century French Studies, n°16, 1-2, 1987-1988.

(3) Frédéric Marcelin, Finances d’Haïti, Emprunt nouveau - Même banque, Paris, Kugelmann, 1911, p. 40.

(4)Ibid, p. 41.

(5)Alfred Jean, Il y a 60 ans, 1883-1943, les journées des 22 et 23 septembre 1883, Imprimerie A. P. Barthelemy, Port-au-Prince, 1944, p. 30.

(6) François Blancpain, Haïti et les Etats-Unis 1915-1934, L’Harmattan, Paris 1999, p. 74.

(7)Financial Crisis Inquiry Commission, The Financial Crisis Inquiry Report, Washington D.C., January 2011, p. xx.

(8) « Semiannual OTC derivatives statistics at end-December 2012 », Bank of International Settlements Quarterly Review, Basel, June 2013, p. A 141.

(9) Banque des Règlements Internationaux (BRI), 83e Rapport annuel de la BRI 2012/13, Bâle, 23 juin 2013, p. 83.

(10) Joseph Stiglitz, « 1930-2008 : Crises économiques et structurelles – le rôle de l’État », Contre-Info, 9 janvier 2012.

(11) Le PIB mondial est passé de 40 trillions de dollars (40 mille milliards) en 2004 à 70 trillions de dollars (70 mille milliards) en 2011.

(12) Morten Bech, « FX volume during the Financial crisis and now », Bank of International Settlements Quarterly Review, Basel, March 2012, p. 41.

(13) Leslie Péan, « Marasme économique, transmission des savoirs et langues », Alterpresse, 23 mai – 10 juin 2013

(14) « The administration felt that the export duties were fundamentally unsound in principle and a dangerous obstacle to the economic rehabilitation of the country. » Lire le rapport Haiti : report of Financial Adviser-General Receiver for the fiscal year October 1929-September 1930, Imprimerie du Service Technique, P-au-P, Haiti, 1930, p. 43.

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