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Deux semaines au Rojava

category international | luttes des peuples autochtones | opinion / analyse author Tuesday November 11, 2014 05:03author by Commission internationale AL - Alternative Libertaire Report this post to the editors

Révolution démocratique au Kurdistan syrien

Un anarchiste kurde de Grande-Bretagne, Zaher Baher, a voyagé au Kurdistan syrien (Rojava) en mai 2014. Il en a tiré un long et rare témoignage, dont certains passages assez acritiques incitent à la prudence. Il en ressort l’impression d’une révolution non pas sociale, mais au moins démocratique, ce qui constitue déjà un pas de géant après quarante années de dictature policière. Nous en publions deux extraits.
Un organigramme pour visualiser le mouvement kurde dans ses lignes de force.
Un organigramme pour visualiser le mouvement kurde dans ses lignes de force.

Le Printemps arabe a secoué la Syrie au début de 2011 et, au bout de quelque temps, s’est propagé dans les régions kurdes de la Cizîrê, de Kobanê et ­d’Efrîn. [...]

Pendant ce temps, se constituait – avec l’appui du PKK et du PYD – le Mouvement de la société démocratique (Tev-Dem), qui a rapidement acquis une solide assise populaire. Après le départ de l’armée et de l’administration syrienne, la situation est devenue chaotique et le Tev-Dem s’est trouvé dans l’obligation de mettre en application son programme [...].
Le programme du Tev-Dem était très fédérateur, et couvrait tous les sujets de société. Beaucoup de gens de différents milieux – kurde, arabe, musulman, chrétien, assyrien et yézidi – s’y sont impliqués. Son premier travail a été de mettre sur pieds toute une série de groupes, de comités et de communes, dans les rues, les quartiers, les villages, les cantons, les petites et les grandes villes. Leur rôle a été de s’occuper de toutes les questions sociales : les problèmes des femmes, l’économie, l’environnement, l’éducation, la santé, l’entraide, les centres pour les familles endeuillées, le commerce et les affaires, les relations avec les pays étrangers. [...] Généralement, ces groupes se réunissent chaque semaine pour faire le point sur la situation sociale. Ils ont leur propre représentant dans le conseil du village ou de la ville, nommé “maison du peuple”. [...]

Au Kurdistan syrien, les gens étaient prêts et savaient ce qu’ils voulaient. Que la révolution devait se faire de bas en haut, et non l’inverse. Que ce devait être une révolution sociale, culturelle et éducative autant que politique. Qu’elle devait se faire contre l’État, le pouvoir et l’autorité. Que le dernier mot dans les prises de décision devait revenir à la base. Ce sont les quatre principes du Tev-Dem. [...]

Après de longs débats et un dur travail, le Tev-Dem a abouti à la conclusion qu’il était nécessaire d’instituer une auto-administration (DSA) dans chaque canton du Rojava.
A la mi-janvier 2014, l’assemblée du peuple de Cizîrê a élu sa propre DSA, pour mettre en œuvre les décisions des maisons du peuple, et prendre en main une partie des tâches administratives locales [...]. La DSA est composée de 22 hommes et femmes ayant chacun deux adjoints. [...] Des gens de toutes origines, nationalités et confessions peuvent y participer. [...]

La première page du Contrat social stipule que « les territoires de démocratie autogestionnaire n’admettent pas les concepts d’État-nation, d’armée nationale ou de religion d’État, de gestion centralisée et de pouvoir central, mais sont ouvertes à des formes compatibles avec les traditions démocratiques pluralistes, ouvertes à tous les groupes sociaux et toutes les identités culturelles, à la démocratie athénienne, et à l’expression des nationalités à travers leurs organisations. » Le Contrat social compte de nom­breux articles dont quel­ques uns sont extrêmement importants [...] :
– La séparation de l’État et des religions ; – L’interdiction du mariage en dessous de l’âge de 18 ans ; – La protection des droits des femmes et des enfants ; – La prohibition de l’excision ; – La prohibition de la polygamie ; – La révolution doit se faire à la base de la société et être durable ; – La liberté, l’égalité, l’équité et la non-discrimination ; – L’égalité hommes-femmes ; – La reconnaissance de toutes les langues usitées : l’arabe, le kurde et le syriaque sont langues officielle dans la Cizîrê ; – La garantie d’une vie décente aux détenus, afin de faire de la prison un lieu de réhabilitation ; – La reconnaissance du droit d’asile : aucun réfugié ne doit être contraint de partir.

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De ce qu’en dit Zaher Baher, l’organisation politique du Rojava repose sur une dialectique entre l’Auto-administration démocratique (DSA), sorte de gouvernement cantonal, et les « maisons du peuple » locales, elles-mêmes composées de « communes » quadrillant le territoire.

Les communes sont les cellules les plus actives des maisons du peuple. Il y en a partout, qui se réunissent une fois par semaine pour discuter des affaires courantes. [...]
Ci-dessous, la définition de la commune, tirée du Manifeste du Tev-Dem, traduit de l’arabe : « Les communes sont les cellules les plus petites et les plus actives. En pratique, elles constituent une société prenant en compte la liberté des femmes, l’écologie, et où est instituée la démocratie directe.

Les communes œuvrent à développer et à promouvoir des commissions. Sans rien attendre de l’État, celles-ci cherchent par elles-mêmes des solutions aux questions sociales, politiques, éducatives, de sécurité et d’autodéfense. Les communes instituent leur propre pouvoir en construisant des organismes tels que des communes agricoles dans les villages, mais aussi des communes, coopératives et associations dans les quartiers. « Il faut former des communes dans la rue, les villages et les villes, avec la participation de toutes et tous les habitants. Les communes se réunissent chaque semaine, et prennent leurs décisions au grand jour, avec leurs membres de plus de 16 ans. »

Nous sommes allés à une réunion d’une des communes basée dans le quartier de Cornish, à Qamişlo. Il y avait là 16 à 17 personnes, pour la plupart des jeunes femmes. Nous avons pu discuter de façon approfondie de leurs activités et de leurs tâches. Elles nous ont dit qu’il y avait dix communes dans le quartier, composées chacune de 16 personnes. « Nous agissons un peu comme des travailleurs sociaux, nous ont-elles dit, avec tout ce que ça comporte : rencontrer les gens, assister aux réunions hebdomadaires, démêler les problèmes, veiller à la sécurité et à la tranquillité publique, collecter les ordures, protéger l’environnement et assister à la grande réunion pour débriefer ce qui s’est passé durant la semaine. »

Elles m’ont confirmé que personne, pas même les partis politiques, ne s’ingère dans les décisions prises collectivement, et en ont cité quelques-unes : « Nous souhaitions utiliser une vaste parcelle, dans une zone résidentielle, pour créer un petit parc. Nous avons demandé une aide financière à la mairie. Elle n’avait que 100 dollars à nous donner. Nous avons pris l’argent, et collecté 100 dollars de plus auprès des habitants. » Elles nous ont fait visiter ce parc en nous expliquant : « Beaucoup de gens ont travaillé bénévolement pour terminer le travail, sans dépenser davantage d’argent. » [...]

Quand, à leur tour, elles ont voulu savoir s’il existait des structures similaires à Londres, je leur ai répondu qu’il y avait certes plusieurs groupements, mais malheureusement aucun qui ressemble au leur – uni, progressiste et engagé. Bref, je leur ai avoué qu’elles étaient bien plus avancées que nous. Surprise, déception et même frustration de leur part : comment leur région pouvait-elle être à un stade plus avancé qu’un pays qui a connu la révolution industrielle il y a des siècles !

Traduction : Alain KMS

Related Link: http://www.alternativelibertaire.org/?Dossier-Kurdistan-Infographie-la

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