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Le vieux et le Coup d’État

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category région sud de l'afrique | impérialisme / guerre | opinion / analyse author Wednesday December 06, 2017 09:58author by Shawn Hattingh - ZACF Report this post to the editors

Cet article s’attache à comprendre les événements récents qui ont entouré la démission de Robert Mugabe au Zimbabwe. L’auteur ne pense pas que cela est susceptible d’amener une quelconque forme de libération pour le peuple du Zimbabwe, étant donné que cela ne répond pas aux problèmes auxquels le Zimbabwe doit faire face : une classe dirigeante sans scrupules, l’État, le capitalisme et l’impérialisme.

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Robert Mugabe, dirigeant autoritaire qui menait depuis longtemps une guerre contre les pauvres au Zimbabwe, n’est plus. Il a été forcé à démissionner par la levée d’un coup d’État militaire, bien que, de façon ironique, les acteurs principaux de ce coup d’État nie en soit un.
Quand Mugabe a annoncé qu’il quittait le pouvoir, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de Harare pour célébrer la nouvelle. Beaucoup espèrent que cette sortie permettra d’améliorer la situation pour le Zimbabwe. Cet espoir, malheureusement, berce les gens d’illusions car Mugabe n’était qu’un symptôme de problèmes bien plus importants et que tant que ceux-ci ne seront pas résolus, le Zimbabwe ne pourra pas être libre. Pas plus qu’il ne pourra y avoir une véritable égalité. De la même façon, ceux qui ont fait partir Mugabe sont taillés dans le même roc et viennent de la même classe dirigeante sans scrupules.

Remettre le coup d’État dans son contexte

Le contexte du coup d’État ne peut pas être séparé du fait que le Zimbabwe a vécu et vit toujours une crise économique massive, qu’il a été gouverné par une classe dirigeante qui s’est accrochée au pouvoir par tous les moyens (classe dont Mugabe n’est qu’un membre) et que cette classe a utilisé son contrôle sur l’État pour piller les ressources du pays.
En fait, la classe dirigeante du Zimbabwe a historiquement eu besoin des postes dirigeants de l’État ou de connexion avec l’État pour accumuler la richesse. C’est lié au fait que le colonialisme a freiné le développement des capitalistes noirs dans le pays.
Depuis le début de l’indépendance, l’État a joué un rôle primordial dans la construction d’une classe dirigeante autour du ZANU1. C’est le seul moyen qu’ils ont pour devenir riche. De fait, le Zimbabwe est un cas d’école pour montrer comment, en intégrant des postes de l’État, d’anciens leaders de la libération peuvent intégrer et même intègrent de fait la classe dirigeante ; comment ils peuvent devenir et deviennent de fait des gouvernants au-dessus des gens ; comment ils peuvent utiliser et utilisent de fait leurs positions pour amasser la richesse sur le dos des gens.

La compétition pour les postes d’État a toujours été intense

En conséquence, la réalité est que, depuis l’indépendance, la compétition pour intégrer les postes les plus hauts de l’État a été féroce. C’est en partie la raison pour laquelle les leaders de premier rang du ZANU, autour de Mugabe, Mnangagwa et les généraux de l’armée, ont utilisé la force pour saper le pouvoir de leurs rivaux du ZAPU2 dans les premières années après l’indépendance. Cette stratégie a culminé à travers les massacres du Matabeleland en 1983 dans lesquels 20 000 personnes ont été tuées par l’État. C’est aussi la raison pour laquelle ils ont utilisé la terreur, y compris le viol de masse pour intimider les opposant-e-s, pour détruire la possibilité d’être retirés de leurs positions de pouvoir au sein de l’État par la voie électorale (élections en 2008 et en 2013).
Comme la crise économique au Zimbabwe s’est aggravée depuis les années 2000, la compétition pour les postes au sein de l’État est devenue encore plus féroce, ce qui a mené à des divisions au sein de la classe dirigeante et au sein même du ZANU. Dans la bataille pour des positions au sein de l’État afin d’accumuler la richesse, deux factions ont émergé dans le ZANU : le G40 et les Lacoste. C’est cette division qui constitue la racine profonde de ce coup d’État : une bagarre interne à la classe dirigeante pour le contrôle de l’État, afin de mieux piller.
Ces dernières années, Mugabe s’est allié avec la faction du G40, qui est plutôt composée de la jeune génération d’aspirant-e-s capitalistes noir-e-s, comme par exemple Jonathan Moyo et Grace Mugabe3. C’est cette faction qui a bénéficié de « l’indigénisation » de l’État et des politiques de réforme agraire, en s’accaparant 51 % des intérêts dans de nombreuses corporations des secteurs miniers, agricoles et de la vente au détail. C’est aussi ce choix de Mugabe de défendre les intérêts du G40 qui a mené au coup d’État contre lui.
En effet, l’utilisation de l’État par le G40 pour amasser de la richesse rentre en collision avec l’autre faction du ZANU, les Lacoste, regroupé-e-s autour de Mnangagwa et des généraux. Le fait que le G40 mette la main sur les parts des entreprises via l’État a contrarié les intérêts de la faction Lacoste. Les généraux n’ont pas apprécié que Mugabe choisissent de privilégier, à leurs dépens, une strate plus jeune, et vénale, du parti (le G40 donc).

La « Chinese connection »
La faction Lacoste est très proche de l’État et des capitalistes chinois. En fait, Mnangagwa a même créé une entreprise, Sino Zimbabwe, dont il partage le capital avec des éléments de la bourgeoisie capitaliste chinoise, afin d’assurer l’exploitation de mines de diamants à Marange [dans l’est du pays, NdT]. De ce fait, il est devenu probablement l’homme le plus riche du Zimbabwe dans le milieu des années 2000. Pour s’assurer que ce business puisse continuer, Mnangagwa et les généraux ont lâché l’armée pour chasser les gens de leurs terres en 2008. Plusieurs centaines de personnes sont mortes à cette occasion.
Plus récemment, la faction du G40 et Mugabe ont également cherché à l’écarter et ont pris des parts dans des entreprises chinoises, à travers la politique d’ « indigénisation ». L’État et les capitalistes chinois sont les principaux investisseurs au Zimbabwe et ils n’ont pas du tout apprécié les actions du G40 et de Mugabe contre leurs intérêts.
Mugabe est allé plus loin et a commencé à prendre des actions contre la faction Lacoste en congédiant Mnangagwa (qui est soutenue par la classe dirigeante chinoise). C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ; et le temps du « Vieux » est venu.

Les plans sont allés vite

Lorsqu’il a été congédié, Mnangagwa est parti directement en Chine. Il a été rapidement suivi par les généraux majeurs du pays, qui ont ensuite rencontré les dignitaires de l’armée chinoise. Même si on ne saura probablement jamais ce qui a été discuté, il est difficile de croire à une coïncidence quand on sait qu’un coup d’État a eu lieu dans la semaine même qui a suivie. Les signes montrent que Mnangagwa, ses généraux et l’État chinois ont élaboré ensemble des plans pour un coup d’État qui ferait tomber Mugabe.
En effet, dès que le coup d’État a eu lieu, les généraux ont annoncé que les investissements étrangers seraient bienvenues, ont laissé entendre que la politique d’ « indigénisation » serait inversée et les investissements protégés. C’était un message clair à l’État chinois que leurs intérêts, saisis par Mugabe pour la faction G40, leur seraient rendus.

Pas encore Uhuru
Le problème, cela dit, c’est que Mnangagwa et les généraux ne valent pas mieux que Mugabe ; et les chinois ne sont pas des impérialistes « plus cool » que la Grande-Bretagne. Tous sont aussi vils les uns que les autres. En fait, Mnangagwa, les généraux et les chinois sont déjà largement impliqués dans l’oppression et l’exploitation de la classe des travailleuses et des travailleurs (occupé-e-s ou non) du Zimbabwe, et ce depuis des années. Leur ascension vers le pouvoir n’amènera pas un Zimbabwe meilleur : les têtes en haut de l’État ont vaguement changé mais les pratiques ne risquent pas de changer.
Même si l’opposition est acceuillie dans un nouveau gouvernement de transition aux côtés de Mnangagwa et de sa faction du ZANU, ceux qui contrôlent l’État vont continuer à exploiter le peuple du Zimbabwe et la démocratie va sûrement rester très limitée.
Cela signifie que si le Zimbabwe doit se libérer, il doit l’être par les travailleuses et les travailleurs, par les pauvres elles et eux mêmes. La longue et difficile tâche de construction d’un nouveau mouvement pour mener à bien cette libération ne peut pas et ne doit pas être évitée ou abandonnée à cause de ce coup d’État. Une lutte doit être levée contre la classe dirigeante zimbabwéenne, contre son Etat, contre le capitalisme et l’impérialisme. C’est le seul moyen pour accéder à l’Uhuru4.

Shawn Hattingh (ZACF), le 24 novembre 2017
Traduction par la Commission Internationale de la CGA, le 5 décembre 2017

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(1) Note du Traducteur : Zimbabwe African National Union, le parti de Mugabe, fondé en 1963 en opposition au régime d’apartheid en vigueur jusqu’en 1980 en Rhodésie du Sud, ancien nom du Zimbabwe hérité de la colonisation britannique.
(2) NdT : Zimbabwe African People’s Union, autre parti politique historique de la résistance anti-apartheid du Zimbabwe, fondé en 1960. Le ZAPU était d’obédience pro-russe, là où le ZANU était pro-chinois. Les deux partis, alliés dans un Front Patriotique depuis 1976, fusionnent en 1987 alors que le ZANU est déjà au pouvoir.
(3) NdT : Grace Mugabe est la femme de Robert Mugabe depuis 21 ans. Elle est surnommée « DisGrace » et est largement détestée dans le pays pour sa vénalité et l’affichage obstentatoire de ses goûts de luxe, alors que la majorité du pays vit dans la misère. Beaucoup de médias occidentaux, français notamment, ont fait peser sur ses épaules la responsabilité de la situation, produisant ainsi un discours simplificateur sur une situation complexe, largement empreint de sexisme et de racisme latent. Elle a demandé le divorce début décembre suite à la destitution de Robert Mugabe.
(4) NdT : Uhuru semble être un mot commun à de nombreuses langues bantoues d’Afrique du Sud-Est pour signifier la liberté. Je précise tout de même que je ne suis pas spécialiste de cette famille de langue et que cette note et cette traduction, basées sur quelques recherches rapides sur le net, peuvent être incomplètes ou légèrement inexactes.

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