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Sans nationalités ni frontières, s’éveille un Kurdistan libertaire

category machrek / arabie / irak | divers | opinion / analyse author Thursday January 04, 2018 09:11author by Pierre Bance Report this post to the editors

Au Rojava, dans le nord de la Syrie, les Kurdes ont entendu le message. En 2012, l’effervescence de la révolte contre Bachar al-Assad leur offre l’opportunité d’une révolution dans la révolution pour donner vie au projet d’une démocratie sans État. Mais cette ambitieuse aventure politique doit faire face à bien des difficultés intérieures ou menaces extérieures. Parce que « le Kurdistan libertaire nous concerne » ( [1]), il est intéressant de connaître ses fondements idéologiques (I), puis de comprendre les ressorts des institutions proto-étatiques mises en place dans une relation incestueuse avec une société civile qui s’auto-organise (II). Les observateurs voient les Kurdes syriens comme d’intrépides guerriers, alors qu’ils sont davantage encore d’intrépides constitutionnalistes. Contre l’avis de tout le monde, ils se sont mis en marche, affranchis des nationalités et frontières, vers ce qu’ils appellent le confédéralisme démocratique, système fondé sur la commune autonome (III).
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I – Kurdistan(s)

A. Le fruit amer de l’histoire

Sans remonter à l’Antiquité comme aime à le faire Abdullah Öcalan, pour saisir la situation actuelle, il convient de revenir à la Première Guerre mondiale. Avant cette guerre, les Kurdes étaient séparés entre l’Empire ottoman et l’Iran impérial. En 1914, l’Empire ottoman s’allie à l’Allemagne. La défaite des forces austro-allemandes entraîna son démantèlement. Dans ce contexte, les Français et les Anglais reconfigurèrent la géographie politique du Proche-Orient dans les accords Sykes-Picot du 16 mai 1916 et les traités qui suivirent, Sèvres en 1930, Lausanne en 1923. Les Kurdes, malgré les promesses qui purent leur être faites à un moment ou à un autre, en pâtirent. Le Kurdistan fut partagé entre quatre pays : la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Tous leur appliquèrent un régime colonial, aucun ne leur reconnut une pleine citoyenneté, tous nièrent leur culture ( [2]). Victimes de cette histoire, « les Kurdes ne sont pas un peuple minoritaire, mais un peuple minorisé », pourra dire le chercheur, Gérard Gautier lors des Journées d’études organisées par les Amitiés kurdes de Bretagne, le 20 août 2017 à Douarnenez ( [3]).

Le Kurdistan se présente aujourd’hui comme un territoire d’environ 520 000 km². La population kurde, estimée entre 35 et 40 millions de personnes, est ainsi répartie :

  • le Kurdistan du Nord, ou Bakûr, en Turquie, regroupe de 13 à 15 millions d’habitants (de 16 à 19 % de la population turque), sur une surface d’environ 210 000 km² (27 % de la surface du pays) ;
  • le Kurdistan du Sud, ou Başûr, en Irak, de 5 à 7 millions (de 14 à 19 %), sur 83 000 km² (19 %).
  • le Kurdistan de l’Est, ou Rojhila, en Iran, de 6 à 9 millions (de 8 à 11 %), sur 195 000 km² (12 %) ;
  • le Kurdistan de l’Ouest, ou Rojava, en Syrie, est la plus petite partie du Kurdistan avec 3 ou 4 millions d’habitants (de 17 à 18 %), sur 32 000 km² (16 %).

    La diaspora kurde représente plus de 2 millions de personnes, dont 800 000 en Allemagne et 200 000 en France. Il est entendu que tous ces chiffres sont des estimations, en l’absence de statistiques officielles sur la population kurde.

    S’agissant du Rojava, puisque c’est là que se joue le grand bouleversement, les trois cantons d’origine ont été transformés en trois régions et six cantons par l’Assemblée constituante de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord en juillet 2017 ( [4]) :

  • la région de Cizîre (Jazira) (Cantons de Quamişlo et d’al-Hasakah), à l’Est, regroupe 1,5 million d’habitants ;
  • la région de l’Euphrate (cantons de Kobanî et de Tel Abyad), au Centre, 1 million ;
  • la région d’Efrîn (cantons d’Efrîn et d’al-Shahba), au Centre, 1,5 million.
    Là aussi, les chiffres sont estimés, faute d’un recensement récent et en raison des mouvements de population dus à la guerre.

    La région de Cizîre est la plus étendue avec 20 000 km2, celle de l’Euphrate en fait à peu près la moitié, celle d’Efrîn environ 2 000 km2. Le Rojava a donc une surface équivalente à celle de la Belgique mais avec une population trois fois moindre.

    La région d’Efrîn est séparée de celles de l’Euphrate et de Cizîre par une poche le long de la frontière turque de 100 km de long et de 50 km de profondeur, occupée par l’armée turque et ses milices syriennes de l’opposition depuis août 2016. Elle est exposée à d’incessantes provocations verbales et militaires du gouvernement et de l’armée turcs qui menacent de l’envahir. Dernière observation qui nous conduit à dire un mot de la situation géopolitique.

    B. Le Kurdistan en feu

    En Turquie, après maints cessez-le-feu prononcés de manière unilatérale par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dont le dernier aurait peut-être abouti à une entente sur un statut du Bakûr, tout tombe à l’eau en 2015. Le président Recep Tayyip Erdoğan, paniqué par les résultats électoraux du Parti démocratique du peuple (HDP), pro-kurde et moderniste, et inquiet du développement d’un Kurdistan autonome en Syrie, lance sauvagement sa police et son armée contre les quartiers et les villes où les militants du PKK avaient, témérairement, proclamé l’autonomie démocratique. La terreur d’État, si elle contient l’insurrection urbaine au prix de bien des morts, aura pour effet principal de revitaliser la guerre civile.

    En Irak, les Kurdes, après s’être prononcés pour l’indépendance le 17 septembre 2017, ont été chassés des territoires conquis sur l’État islamique par l’armée irakienne et les milices chiites parce que les deux familles oligarchiques, les Barzani et les Talabani, qui se disputent le pays au travers du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) et leur milice respective, ont été incapables de s’entendre. Lâchés par les Turcs, leurs vieux amis, à cause de leur velléité d’indépendance, mauvais exemple pour les Kurdes de Turquie, lâchés par les Américains pour d’obscures raisons géostratégiques, les Kurdes resteront dans le giron de l’Irak dans les limites initiales de leur région et selon leur statut antérieur d’autonomie. Un discours parisien voudrait faire croire que, sous la présidence de Barzani, le Kurdistan était une belle démocratie. Il n’en est rien, c’était un régime autoritaire, appuyé sur une classe politique corrompue qui a donné cours à une frénésie capitaliste nourrie par l’argent du pétrole ( [5]). Il ne faut donc pas s’étonner que le gouvernement kurde d’Irak entretienne de mauvaises relations avec l’auto-administration démocratique de Syrie.

    En Iran, où agissent des résistances kurdes les unes proches du PDK, les autres du PKK, l’agitation reprend. La répression sanglante de la République islamique aussi. Mais il est encore difficile de savoir exactement ce qui se passe dans les montagnes de l’Ouest.

    On arrive ainsi au Rojava, où se déroule un drame dont l’issue déterminera l’avenir de l’ensemble du Kurdistan. En cas de victoire, le confédéralisme démocratique des Kurdes de Syrie pourrait être l’outil qui, à terme, est susceptible d’ébranler les frontières et le concept de nationalité. Mais, avant d’entrer dans la complexe organisation politique du Rojava, il faut avoir une idée des origines du confédéralisme démocratique, de ce qu’il a d’innovant.

    C. Le confédéralisme démocratique

    Fondé en 1978, entré en clandestinité en 1984, le PKK mène une guérilla meurtrière contre l’État turc qui se poursuit aujourd’hui avec un nouvel idéal politique, une nouvelle ambition institutionnelle. En effet, à l’orée du siècle, le PKK et ses nombreuses ramifications civiles et militaires dans les quatre États se partageant le pays kurde, abandonnent le marxisme-léninisme qui a démontré son incapacité à conduire l’émancipation et renoncent à leur ambition de construire un État-nation kurde, un « État supplémentaire [qui] ne ferait que renforcer l’injustice et entraver plus encore le droit à la liberté » ( [6]). Ils adoptent, et rendent publiques en 2005, l’idée et la stratégie du confédéralisme démocratique théorisées par leur leader Abdullah Öcalan, lui-même influencé par le municipalisme libertaire du philosophe américain Murray Bookchin.

    Parce qu’il part du principe que l’État et le capitalisme sont les sources de l’infortune des hommes, le municipalisme libertaire reprend un schéma classique de l’anarchisme dans lequel des communes autonomes se fédèrent et s’organisent sans État au travers d’assemblées générales. Mais, il l’enrichit de deux éléments. Le premier est l’importance de l’écologie dans la révolution, car si l’on ne protège pas la nature, les humains n’ont pas d’avenir ; cette écologie est sociale parce que tous les problèmes écologiques sont des problèmes sociaux ( [7]). Le deuxième est celui d’une révolution par marginalisation progressive de l’État qui, rendu inutile par la multiplication des communes autonomes et leur auto-organisation fédérative, finit par disparaître. Parallèlement, le capitalisme est progressivement remplacé par l’économie sociale, garante elle-même du développement écologique. Pour parvenir à marginaliser l’État et le capitalisme, les organisations de la société civile agissent sur tous les fronts, y compris électoral quand le mouvement municipaliste est suffisamment fort pour influencer ou prendre le contrôle d’un conseil municipal légal. Chaque instance de la fédération, et en premier lieu la commune, s’organise comme elle l’entend, avec pour seule limite la liberté des autres communes ou instances fédérales. Le moteur de ce système est la démocratie directe. Les décisions sont prises par l’assemblée générale. Celle-ci peut être constituée par l’ensemble des citoyens, notamment pour la commune, ou, dans les organes fédéraux supérieurs, par des délégués révocables porteurs de mandat précis ( [8]).

    Le projet de confédéralisme démocratique d’Öcalan est conforme au projet anarchiste de démocratie sans État envisagé par Bookchin. Le confédéralisme démocratique « n’est pas contrôlé par un État », c’est donc une société sans État, « un paradigme social et non-étatique ». Un système fédéral dans lequel les niveaux supérieurs n’ont pour justification que « d’assurer la coordination et la mise en œuvre de la volonté des communautés qui envoient leurs délégués aux assemblées générales ( [9]) ». Cependant, si dans le confédéralisme démocratique l’État est remplacé par un système fédéral sur une surface géographique sans frontières, le Proche-Orient n’est pas le paisible Vermont où vécut Bookchin. Ses imbrications ethniques, culturelles et religieuses, son histoire tumultueuse, obligent à des adaptations. L’écologie n’est pas négligée, mais elle n’est pas la base morale du confédéralisme démocratique. C’est l’égalité entre les sexes, car il n’y aura pas de révolution si elle ne s’accompagne d’une révolution des femmes, et la fraternité entre les peuples qui donneront vie à la commune :

    « Le confédéralisme propose un type d’administration politique dans lequel tous les groupes de la société, ainsi que toutes les identités culturelles, ont la possibilité de s’exprimer par le biais de réunions locales, de conventions générales et de conseils. Cette vision de la démocratie ouvre ainsi l’espace politique à toutes les couches de la société et permet la formation de groupes politiques divers et variés, ce qui constitue de ce fait un progrès dans l’intégration politique de l’ensemble de la société. La politique y fait alors partie de la vie quotidienne [10] »

    Si Bookchin envisageait prudemment la participation aux élections locales, Öcalan fait preuve de plus de pragmatisme. Dans le projet de marginaliser l’État, l’action associative se coordonnera avec une participation électorale communale mais aussi nationale assurée par un parti légal pendant que se poursuit la résistance militaire. Il n’écarte pas la possibilité de s’entendre avec l’État si ce dernier reconnaît l’autonomie aux régions qui la souhaiteront et, pour ce faire, il jette les bases d’une constitution démocratique pour la Turquie ( [11]).

    Comme dans le municipalisme libertaire, se met en place, concomitamment, une économie alternative. Öcalan écrit, comme le ferait Bookchin : « Les unités écologiques, sociales et économiques ne visent pas à faire de profit ; elles ont pour objectif essentiel la définition et le service des besoins fondamentaux ( [12]) ».

    Moins encore que Bookchin expliquant le municipalisme libertaire, Öcalan n’entre dans le détail du confédéralisme démocratique ( [13]). Pour les deux, la pratique adaptera leur schéma. C’est bien à cela que les Kurdes du Rojava s’attelèrent. Ils ont l’objectif, le canevas idéologique et stratégique pour l’atteindre. Mais, ils sont les premiers à devoir trouver et mettre en œuvre les moyens pour parvenir à la société sans État.

    II – Un autre futur au Rojava

    Le Rojava n’est pas une île. Région syrienne, il est intégré au monde arabo-musulman. De longue date, tous les pays qui composent ce dernier sont le terrain d’une lutte politique et juridique entre tradition et modernité, entre la loi de Dieu et le droit de l’État. D’un côté, une loi archaïque confortée par une jurisprudence médiévale, toutes deux légitimées au nom d’un islam anhistorique. De l’autre, un État qui voudrait être porteur du rationalisme et des valeurs universelles de la démocratie. Tous les États arabes se soumettent à la religion, des plus avancés comme la Tunisie qui peine à imposer la laïcité, au plus arriéré comme l’Arabie saoudite qui refuse toute constitution autre que le Coran et la sunna, la tradition fondée sur l’exemple du Prophète. Le pouvoir en islam, qu’il soit issu d’une lignée dynastique ou oligarchique, d’un coup d’État ou d’une élection, ne vient pas des hommes, mais de la délégation divine. Les printemps arabes et leur destinée sont la dernière illustration de cet échec de la modernité qui ferait du peuple la source d’un État de droit ( [14]). Le confédéralisme démocratique et son projet de société sans État entend justement dépasser cette alternative entre la tradition patriarcale fondée sur la religion et la modernité capitaliste fondée sur l’État-nation, et appelle à lutter contre l’une et l’autre. Il se présente comme une théorie post-moderne libertaire, qui substituera à la loi traditionnelle et à la loi étatique les pratiques émancipatrices de la démocratie directe, du fédéralisme et de l’autogestion économique.

    A. Aux origines du Contrat social

    Au Nord de la Syrie, les soubresauts de la révolution de 2011 favorisent l’autonomie des trois cantons kurdes du Rojava (Cizîre, Kobanî et Efrîn) qui, sous l’impulsion – mais aussi le contrôle – du Parti de l’union démocratique (PYD), adoptent, le 29 janvier 2014, la Charte du Rojava et s’organisent selon l’auto-administration démocratique, phase préalable au confédéralisme démocratique. Le Mouvement pour une société démocratique (TEV-DEM), qui fédère les collectifs associatifs, syndicaux, politiques, coopératifs, culturels, ethniques et religieux, met en œuvre le projet malgré les difficultés rencontrées dans une région en guerre.

    En dépit de la solide organisation du TEV-DEM, la coordination fédérale des trois cantons, telle qu’elle résulte de la Charte, fait preuve de faiblesses pratiques et institutionnelles. Pour y remédier, fin 2015, est mis en route un processus consultatif de révision constitutionnelle qui aboutira à une première session de l’Assemblée constituante les 17 et 18 mars 2016. Présidée par une Kurde, Hadiya Yousef (Hediye Yûsif), et un Arabe, Mansour al-Souloum, ses 151 délégués, représentant par consensus tous les segments de la société, aboutiront à l’adoption du Contrat social de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord le 29 décembre 2016. L’ambition démocratique et confédéraliste du texte n’est pas réservée aux Kurdes. Elle s’ouvre aux communautés et aux territoires libérés de l’emprise de l’État islamique, principalement peuplés d’Arabes. En janvier 2017, est constitué un conseil exécutif coprésidé par une Kurde, Foza Yousef (Foze Yûsif), et un chrétien syriaque, Senherîb Birsûm ( [15]).

    Comme la Charte du Rojava, le nouveau Contrat social affirme l’ensemble des droits et libertés civiles et politiques : égalité des sexes et des ethnies, droits d’expression et d’information, libertés religieuse et d’opinion, droit de s’organiser, de se syndiquer, de se réunir, condamnation du patriarcat par l’émancipation des femmes et des jeunes… sans oublier le droit de propriété. Il refonde la structure territoriale, les trois cantons deviennent trois régions (voir ci-dessus). Les communes, districts et municipalités sont intégrés à l’ordre institutionnel. Simple mise en conformité ou limite à l’autonomie ?

    Les régions se coordonnent dans la Fédération démocratique de la Syrie du Nord, elle-même collectivité territoriale d’une future confédération syrienne. Chacun des cinq niveaux fédéraux de décision (commune, district et municipalité, canton, région, fédération), en principe autonome, élira une assemblée et se dotera d’un conseil exécutif. Les assemblées de ces cinq niveaux seront composées pour 60 % de membres élus et pour 40 % de délégués de la société civile (communes, conseils de femmes, associations sociales, coopératives, organisations professionnelles, groupes de défense des droits de l’homme ou communautés religieuses). La loi électorale du 28 juillet 2017 prévoit une représentation paritaire des deux sexes ( [16]). La réforme institutionnelle se met en place. Invente-t-elle une nouvelle idée de la démocratie ?

    B. L’ambition de supprimer l’État

    À cette question, une réponse s’impose : le Contrat social de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord ne fait pas le saut d’une société archaïque à la société sans État. Il juge nécessaire, dans un premier temps, de faire entrer les peuples de la Syrie du Nord dans la modernité démocratique : les structures politiques proposées ressemblent à celles de la démocratie parlementaire occidentale, il adhère aux chartes internationales sur les droits et les libertés fondamentales, il maintient le capitalisme et la propriété privée des moyens de production. Ainsi, comme la modernité projetée des États arabes bute sur la coutume religieuse, le projet émancipateur du confédéralisme démocratique semble buter sur le conformisme affiché du Contrat social. Toutefois, sous cet affichage, se dessine une autre réalité, une stratégie qui fait l’originalité et l’intérêt politique du texte. Il ne devrait marquer qu’une étape, un temps de gestation vers la fin de l’État et du capitalisme, vers la fédération des autonomies. Pour se débarrasser de la charia et dépasser le droit de la modernité capitaliste maintenu par calcul tant à l’égard de certaines populations locales que de la communauté internationale, le Contrat social annonce, discrètement, les instruments de sa propre destruction par l’évocation de la démocratie directe. Parallèlement à la structure politique, est mis en place un réseau de communes autonomes et fédérées qui contribuera à la marginalisation de l’État en assurant la plupart des fonctions de service public.

    Ainsi, le Contrat social de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord témoigne d’une pensée sophistiquée, qui peut faire douter de sa capacité à produire autre chose qu’une démocratie parlementaire. Dès son Préambule, il n’en rejette pas moins le concept d’État ou plus précisément celui d’État-nation, lequel « conduit à la destruction et à la fragmentation de la société » moyen-orientale. L’État, au sens du droit public international, est un territoire délimité par des frontières, une population qui vit sur ce territoire et un pouvoir souverain qui contrôle la population au besoin par l’exercice légitime de la contrainte. Une condition, non formalisée, donne vie à cette personnalité juridique : la reconnaissance internationale. De prime abord, la Fédération démocratique du nord de la Syrie répond à cette définition : son territoire est délimité, sur celui-ci vit une population soumise à un pouvoir politique, serait-ce celui du peuple s’auto-administrant. Cependant, elle souffre de n’être pas reconnue par la communauté internationale. Mais comment celle-ci reconnaîtrait-elle un État qui ne veut pas être un État et se maintient dans les frontières d’un autre État, puisque les Kurdes réclament l’autonomie au sein des frontières de la Syrie ?

    L’administration proto-étatique du Rojava

    Un lecteur peu attentif du Contrat social pensera qu’il est devant une constitution d’une démocratie occidentale avec quelques particularités. Il constatera que l’État est décentralisé, avec des entités territoriales dotées de pouvoirs de décision étendus. Surtout, il y retrouvera la séparation des pouvoirs de Montesquieu : pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire.

    Une assemblée nationale, le Congrès des peuples démocratiques, est composée de délégués élus pour quatre ans avec un seul renouvellement consécutif possible. Le mandat n’est pas impératif, comme le voudrait la démocratie directe, mais une révocation, appelée « droit de défiance », peut être exercée par le corps électoral (article 72 du Contrat social). Les députés ne représentent que 60 % du Congrès. Comme pour toutes les autres assemblées territoriales, le Congrès aura 40 % de membres « élus selon les principes de la démocratie du consensus » par les organisations de la société civile, pour rééquilibrer la représentation au profit des minorités ethniques, idéologiques et religieuses ( [17]). L’idée du confédéralisme démocratique, comme du Contrat social, est de reconnaître et protéger la diversité sur des territoires où l’État-nation imposait une culture dominante (un pays, un peuple, une citoyenneté, une nationalité, une religion, une langue, une capitale, un drapeau, etc.) ( [18]). Au regard du communalisme, on constate que la société civile reste en minorité face à la société politique. Enfin, et ce n’est pas rien au Proche-Orient, la parité homme-femmes devra être absolue dans le Congrès et sa présidence assurée par un homme et une femme ( [19]). Les élections auront lieu le 19 janvier 2018. Ce Congrès des peuples démocratiques, comme toute assemblée législative, votera des lois applicables à l’ensemble de la Fédération. Ces lois auront-elles prééminence sur les lois des régions ou les décisions des cantons ? Pourra-t-il y être dérogé en mieux – probablement – ou pour les restreindre ?

    Cas pratique. Un district ou une ville, et pourquoi pas une commune, pourront-ils revenir sur la loi fédérale qui interdit la polygamie ? L’article 74 du Contrat social permet aux « composantes locales […] de contester les décisions des systèmes généraux ». Elles devront trouver une solution avec l’autorité supérieure émettrice. Si un consensus n’est pas trouvé, le peuple de la composante locale tranchera. S’il confirme le refus de l’interdiction de la polygamie, l’Assemblée du Contrat social (conseil constitutionnel) pourra se saisir ou être saisi et devra dire si la disposition en litige contredit les intérêts généraux – concept vague – ou le Contrat social, concept qui l’est moins (article 75), d’autant que l’article 21 dispose que chaque entité peut « décider de ses propres affaires », « dans la limite du respect de ce contrat ». Dans le cas présent, l’Assemblée du Contrat social décidera que la loi contre la polygamie est prise dans l’intérêt général et, surtout, qu’elle répond à l’ambition d’émancipation des femmes qui parcourt le Contrat.
    Il y a donc une limite constitutionnelle à l’autonomie sur un sujet, comme les droits de la femme ou de la famille, où les avancées kurdes peuvent ne pas être comprises dans des zones arabo-musulmanes récemment libérées ( [20]).

    Le gouvernement, le Conseil exécutif de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord, est élu parmi les membres du Congrès sur proposition des assemblées régionales des peuples, au nombre de trois, rappelons-le. Toutefois, 20 % de ses membres peuvent ne pas être des élus du Congrès et seront choisis pour leurs compétences techniques. Les ministères dirigés par les membres du Conseil exécutif sont appelés « départements exécutifs ». À la lecture du texte, le Conseil exécutif n’a pas de pouvoir réglementaire. Il n’est qu’un administrateur qui « exécute les décisions et applique les politiques élaborées et décidées par le Congrès » (article 52, § 2). Une allusion est ici faite à la démocratie directe. Il doit également assurer la coordination et la coopération entre les régions dans les domaines politique, économique, social et culturel. Il assure la représentation diplomatique de la Fédération.

    Le Système démocratique de justice est le troisième pouvoir. Si l’on peut dire, car à la lecture du Contrat social, il ressort qu’il s’agit, effectivement, d’un système – original – plus que d’un pouvoir. Il gère la justice par l’application du droit « à travers sa propre auto-organisation et la participation des peuples » (article 67). Ce système, fondé sur la primauté de la médiation et la conciliation, avec des Commissions de paix à tous les niveaux territoriaux, mériterait de plus amples développements qui sortent du thème de ce dossier. On signalera cependant un Conseil de justice des femmes de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord qui « s’occupe de toutes les affaires et de toutes les questions propres aux femmes et à la famille » (article 69, § 6). Ces instances ont un droit d’évocation des affaires relevant de leur compétence devant les autres commissions de conciliation et tribunaux de jugement.

    Enfin, un conseil constitutionnel, l’Assemblée du Contrat social, composé de juges et de juristes représentant toutes les composantes de la société, sera mis en place pour interpréter les articles du Contrat, veiller à la conformité des lois nationales et régionales, comme des décisions de leur Conseil exécutif (article 66). Il tranchera les désaccords entre les trois pouvoirs constitutionnels, la Fédération et les régions, les régions entre elles. Un justiciable pourra aussi le saisir s’il conteste la constitutionnalité d’une loi.

    Cette organisation répond au « défaut » principal de la Charte du Rojava. Dans celle-ci chacun des trois cantons avait son assemblée législative, donc ses lois, son exécutif, sa justice et même son conseil constitutionnel. Cette autonomie quasi totale des cantons créait des disparités et des dysfonctionnements dans l’organisation de l’ensemble du territoire. Le Contrat social rétablit un ordre constitutionnel pyramidal. On peut donc dire que d’un côté le fonctionnement fédéral est amélioré, et, que, de l’autre, l’État se renforce au détriment du principe d’autonomie. Les autorités du Rojava rejettent cette idée en mettant en avant la démocratie directe et l’autonomie des communes.

    Démocratie directe et communes autonomes

    Le Contrat social se réfère à la démocratie directe dans deux articles ( [21]). Leur rédaction engage la démocratie directe comme fondement idéologique du régime politique que la Fédération démocratique du nord de la Syrie veut mettre en place :

    Article 48 : « La Commune est la forme organisationnelle fondamentale de la démocratie directe. […] La Commune fonctionne comme une Assemblée indépendante. »
    Article 49 : « […] Les Assemblées [à tous les degrés de la Fédération] organisent la société en mettant en place la démocratie directe et en établissant les règles et les principes de la vie démocratique et libre. »

    Les éléments déclaratifs de démocratie directe ne font pas la démocratie directe. Il y a quelque chose de volontariste dans ces articles car, comme on vient de le voir, le Contrat social est une constitution démocratique, non une charte de la démocratie directe. À cela, les responsables kurdes rétorquent qu’on ne peut pas faire de la démocratie directe dans le nord de la Syrie, sans représentation, comme on le faisait dans la Cité athénienne ou les franchises communales du Moyen Âge. Ils avancent, à juste titre, que la Commune de Paris de 1871, une de leurs références, recourait à la représentation. Alors, comment doit s’exercer le pouvoir pour que l’on puisse parler de démocratie directe ? Les délégués sont-ils élus en assemblée générale, ont-ils un mandat précis, comment sont-ils contrôlés, sont-ils révocables à tout moment, une rotation de la charge est-elle prévue ? Pouvoirs législatif et exécutif sont-ils véritablement confondus ? À ces questions, et quelques autres, le Contrat social ne répond pas de manière conforme.

    Avant que des temps meilleurs permettent la mise en œuvre d’une véritable démocratie directe, la situation actuelle pourrait être qualifiée d’État fonctionnel. Un État provisoire, préalable au confédéralisme démocratique, est maintenu pour assurer les fonctions qui ne peuvent l’être par les autonomies régionales ou communales. « C’est à la fois un vrai système communaliste et un système parlementaire ( [22]). » L’expérience malheureuse de la théorie du dépérissement de l’État du marxisme fait alors surgir cette question : l’État fonctionnel, par sa nature étatique même, ne se régénérera-t-il pas en État permanent et hégémonique ? Une situation où le mouvement civil confédéraliste se trouverait confronté à l’État. Car ce mouvement civil existe et agit. Il existe, car représenté par quelque cinq mille communes dans l’ensemble du Rojava. Elles ne couvrent pas l’ensemble du territoire, mais de nouvelles communes se créent tous les jours. La commune peut se constituer dans une rue, un quartier, un village aucune limite territoriale n’est définie. Au travers du TEV-DEM, leur organe fédérateur, elles assurent soit directement, soit par délégation, la plupart des services publics et des activités économiques qu’elles contrôlent parce que, comme dirait Öcalan, on a affaire à un « État faible » dont les départements exécutifs (ministères), aux effectifs insuffisants, ne sont pas en mesure d’assurer pleinement leurs missions sociales, sanitaires, éducatives, culturelles, économiques… même judiciaires et sécuritaires. En cela, les communes détiennent plus de pouvoir qu’il n’y paraît à la lecture du Contrat social ( [23]).

    Deux observations peuvent être formulées quant à leur réelle autonomie. La première tient à l’omniprésence du PYD dans les communes. Ce sont souvent ses militants qui ont l’initiative de leur création et les animent. Ainsi le PYD ne se contenterait pas de contrôler les institutions du proto-État et les Unités de protection du peuple et des femmes (YPG-YPJ), mais l’ensemble de la société ( [24]). C’est évidemment faire peu de cas de la capacité des citoyens à se faire entendre du parti et des institutions ; si les Kurdes n’ont pas une formation politique, comme pouvaient l’avoir les paysans anarchistes de l’Aragon en 1936, ils n’en ont pas moins une longue tradition de la délibération. La deuxième observation découle de l’organisation de l’élection des coprésidents des communes le 22 septembre 2017 ( [25]). Fallait-il une loi pour dire aux communes qu’elles doivent élire des coprésidents à une date déterminée pour toutes ? Ce n’est pas tant la décision elle-même que la démarche y conduisant qui interroge sur le degré d’autonomie accordé aux communes, notamment quand une personnalité, comme Ruken Mullah Ibrahim, coprésidente de la Commission électorale de la région de Cizîre, déclare que les communes « sont la base du fédéralisme démocratique et de la démocratie directe » ( [26]).

    Tout doit être remis dans le contexte guerrier qui n’est jamais favorable, sans même parler de démocratie directe, à la démocratie. Il faut attendre le temps de paix pour voir quel sera le sort de l’organisation politique comme du capitalisme. « Être anticapitaliste ne peut réussir sans être anti-étatiste », déclare Mustafa Karasu du Conseil exécutif de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK) ( [27]). Là ou survit l’État, survit le capitalisme, serait-il un capitalisme d’État comme ce fut le cas dans l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). De ce théorème anarchiste, il résulte que le maintien – provisoire – d’un État fonctionnel s’accompagne, forcément, du maintien – provisoire – du capitalisme. Comment le Contrat social, qui n’esquive ni ne résout le casse-tête de la disparition de l’État, gère-t-il celui du capitalisme ? Si l’État « provisoire » s’impose comme l’instrument qui répond aux impératifs institutionnels d’un moment de la révolution, le capitalisme « maintenu » est-il l’instrument qui répond aux impératifs économiques de ce moment ?

    C. L’ambition d’en finir avec le capitalisme

    Le maintien provisoire du capitalisme s’appuie sur la stratégie tant de Bookchin que d’Öcalan : il convient de lui substituer, par étapes, une économie sociale qui le remplacera définitivement. Dans leurs écrits, le capitalisme et l’État-nation sont si intimement unis que la disparition de l’un ne peut se concevoir sans la disparition de l’autre. En maintenant et régulant le marché, force est de constater que l’auto-administration démocratique de la Syrie du Nord est plus qu’un État fonctionnel ( [28]). L’absence d’un syndicat de masse qui aurait préparé le peuple à autogérer et rebâtir une économie désorganisée, comme en Catalogne en juillet 1936, se fait ressentir.

    La liberté du commerce et de l’industrie est ainsi consacrée grâce à une préservation du droit de propriété qui trouve sa justification dans la référence du Contrat social à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Celle-ci fait de la propriété un pivot des droits de l’homme parce qu’elle est l’essence de l’ordre social, ce qui convenait à tous les États signataires. La propriété est une liberté fondamentale assez particulière, elle ne profite pas à tous, mais tous sont tenus de la respecter ( [29]). C’est pour cela que, dans une société égalitaire telle que la voudrait le confédéralisme démocratique, elle n’a plus sa place.

    Encore faudrait-il s’entendre sur ce qu’on entend par propriété ? S’agit-il des objets de la vie courante, du logement familial, de l’échoppe, ou de la propriété des moyens de production et d’échange qui permet d’accumuler du capital mobilier et immobilier. Nulle part, dans le texte du Contrat social, la distinction n’est faite, et la question de la suppression du capitalisme n’est pas évoquée. Cette suppression n’est pas définitivement écartée, le capitalisme est placé dans un discret sursis pour ce qui pourrait passer pour une préoccupation diplomatique, tant à l’intérieur que vis-à-vis de l’extérieur. À l’intérieur, il ne faut pas sous-estimer les réticences d’une partie de la population d’en finir sans préavis avec le capitalisme. Une réticence qui n’est pas étrangère au souvenir des expropriations de l’État baasiste syrien. À l’extérieur, la situation militaire exige un soutien des Occidentaux qui pourraient être effrayés par l’affirmation du projet anticapitaliste. Quelles que soient les raisons du compromis tactique, auquel il faut ajouter la dégradation de l’économie du Rojava épuisée par les destructions et l’effort de guerre, la gouvernance du Rojava se maintient dans la stratégie de la phase transitoire du confédéralisme démocratique. Et, pour la gestion de celle-ci, le Contrat social prévoit, comme dans les constitutions régulatrices des États capitalistes, des limites au droit de détenir une chose, de pouvoir en disposer, de l’utiliser et d’en tirer des profits. D’où cette formule générale de l’article 43 :

    « Le droit à la propriété privée est garanti, sauf s’il contredit l’intérêt général, et il est régulé par la loi ( [30]). »

    Surtout, le Contrat social recourt à l’économie sociale pour, en douceur, se passer du capitalisme industriel et financier, sans porter atteinte à la propriété privée des biens domestiques ( [31]). Il le fait brièvement, en une phrase à l’article 11 :

    « La Fédération démocratique de la Syrie du Nord […] adopte les principes de l’économie sociale et de l’industrie écologique. »

    Le rôle déterminant, mais encore limité, de l’économie sociale

    Dans un système fédéraliste, la décentralisation politique et administrative s’accompagne naturellement d’une décentralisation économique. Surtout quand elle doit préserver l’environnement. En attendant une collectivisation de tous les secteurs de production par leurs travailleurs, une autogestion généralisée, dans le système capitaliste maintenu, la coopérative paraît, pour les responsables de la Fédération démocratique, le meilleur contrepoids. Cette forme juridique d’entreprise n’est pas mentionnée dans le texte du Contrat social, mais elle est constamment rappelée dans les déclarations officielles.

    Les coopératives sont des « unités écologiques, sociales et économiques », écrit Öcalan ( [32]). C’est bien de cela qu’il s’agit au nord de la Syrie. Les coopératives ne visent pas à faire des profits, mais à satisfaire les besoins essentiels de la population dans le cadre de la commune. Besoins en carburant, en gaz, en aliments et autres produits utiles à l’autosuffisance communale. Ce qui n’exclut pas de mettre en place des commissions économiques à tous les niveaux et de se fédérer pour répondre efficacement aux nécessités vitales de la communauté.

    Au Rojava, le mouvement coopératif reste modeste à l’échelle du pays. Salvador Zana, ancien membre du comité économique du canton de Cizîre, en 2017, estime à 100 000 le nombre de coopérateurs sur les 4 millions d’habitants de la Fédération et considère que « la réception du modèle coopératif actuel a été quelque peu mitigée » ( [33]). Les exploitations industrielles, artisanales ou agricoles sont, elles aussi, de taille modeste, elles peuvent aller de moins de 10 à 150 coopérateurs. Même avec un rythme soutenu, et en considération du dépérissement parallèle de l’État, il faudra, à un moment ou à un autre, accélérer le processus par des expropriations ouvrières pour ne pas permettre au capitalisme de se réorganiser et, en même temps, de redonner de la force d’âme à l’État déclinant. Aussi, pour contenir le capitalisme, les autorités kurdes ont choisi de lui imposer des limites structurelles pour l’empêcher de se développer au détriment de l’économie sociale et des limites écologiques pour préserver l’environnement.

    Les limites structurelles au capitalismes

    Le marché « doit être limité et placé sous le contrôle éthique de la société » selon une formule d’Öcalan ( [34]). Pour lui donner corps, l’auto-administration démocratique du Rojava dispose, dans le Contrat social, de deux outils : l’appropriation collective des biens naturels, la surveillance des investissements.

    La terre, l’énergie et les ressources naturelles en surface ou en sous-sol (pétrole, minerais, eau, bois) sont une « propriété de l’ensemble de la société » (article 41). C’est là une prescription dont la mise en œuvre peut être simple, notamment pour les richesses du sous-sol, ou même de l’eau, mais plus compliquée quand on parle de la terre. Si la terre est un bien commun, que reste-t-il de la propriété privée agricole qui n’est pas remise en cause ?

    Pour l’heure, l’auto-administration doit, d’ores et déjà, envisager l’exploitation de ses richesses comme la reconstruction des bâtiments et des infrastructures du pays, sachant qu’elle n’est pas en mesure, ni financièrement, ni concrètement, de l’assurer avec des entreprises publiques ou des coopératives. L’investissement privé n’est donc pas écarté, juste réglé par la loi. Il en sera de même des investissements étrangers, possibles, avec l’approbation du Congrès des peuples démocratiques et des assemblées régionales concernées ( [35]). L’article 42 donne la philosophie de l’investissement :

    « L’investissement dans des projets privés est autorisé à condition que ces projets respectent l’équilibre écologique, offrent les services nécessaires au développement économique et qu’ils aient pour objectifs à la fois la satisfaction des besoins de la société et l’essor des activités sociales économiques. »

    L’investissement sera aussi le moyen d’éviter l’exode des populations pour des raisons économiques ou de sécurité. « Nous avons besoin d’investissements pour faire en sorte que les gens restent au Rojava », déclare Salih Muslim ((Saleh Moslem), encore coprésident du PYD ( [36]). Alors, le capitalisme rode dans les parages de la révolution rhizomatique, prêt à répondre aux appels au secours d’une économie exsangue. Il prend son temps, attend son heure, celle de la défaite des fédérés.

    L’investissement est-il compatible avec ce que disait Amaad Youssef, ministre de l’économie du canton d’Efrîn : « Ici, il n’y a qu’une chose qui soit interdite, c’est le capitalisme financier » ? Il ajoutera que l’usure est bannie du Rojava et que tout intérêt est prohibé et réprimé ( [37]). Comment attirer l’investissement sans le rémunérer ? Comment séparer le capitalisme industriel du capitalisme financier quand des entreprises multinationales investissent un marché ? Comment l’auto-administration préservera-t-elle son économie d’une colonisation capitaliste ? Que pèseront les coopératives agricoles du Rojava face à Nestlé, du bâtiment face à Bouygues, de l’exploitation des hydrocarbures face à Total, toutes ces multinationales qui défient les États ? Si des résistances locales sont possibles, à l’échelle d’un pays affaibli, c’est une autre affaire.

    Cet appel à l’investissement, spécialement l’investissement étranger, vient percuter l’objectif de l’autosuffisance que l’on retrouve dans le municipalisme libertaire et le confédéralisme démocratique. Les textes théoriques l’envisagent au niveau de la commune, le Contrat social à celui de la région (article 54), niveau qui paraît, localement, le mieux adapté à l’utilisation intelligente des richesses naturelles. Le Rojava a une capacité à l’autosuffisance comme il a été observé dans cette période difficile :

    « Il est certain que, sans l’autosuffisance alimentaire et énergétique, l’expérience démocratique que représente le Rojava n’aurait jamais pu tenir aussi longtemps [38]. »

    Une société autosuffisante est une société qui dispose de moyens normaux d’existence. Le normal d’une société communiste, ou qui aspire à l’être, n’étant pas le normal d’une société capitaliste. Autosuffisance ne veut pas dire autarcie. La commune a besoin de la région, la région des autres régions, d’où l’idée de fédération, mais, au-delà des régions fédérées, reparaît le spectre du capitalisme international dont l’autosuffisance locale est la dernière des inquiétudes. En attendant cette inévitable confrontation avec l’économie mondialisée, on comprend que l’idée première de l’autosuffisance soit le souci d’une production raisonnée qui prémunisse des risques écologiques dont est porteur, par nature, le capitalisme.

    Les limites écologiques au capitalisme

    Le système démocratique institué par le Contrat social n’est pas qu’un mode d’organisation de la société, c’est aussi le « moyen de réaliser l’équilibre entre économie et écologie » (article 57). La préoccupation est constante dans le Contrat social parce que la démocratie est inséparable de l’écologie (articles 2 et 9), parce que « la vie et l’équilibre écologique doivent être protégés » (article 76), parce que, enfin, « chacun a le droit de vivre dans une société écologique saine » (article 32).

    Avec la prudence que peut susciter la puissance du capitalisme mondialisé, l’auto-administration tente de se donner les moyens de faire respecter la protection de l’environnement, on l’a vu, par un cahier des charges imposé aux projets privés d’investissement (article 42), par l’expropriation au nom de l’intérêt général (article 43). On sait, par ailleurs, que la distribution des terres de l’État syrien, expropriées au profit des coopératives, terres à blé essentiellement, s’est accompagnée d’une diversification des cultures et du développement de l’élevage pour rétablir la diversité biologique et contribuer à l’autosuffisance alimentaire, évolutions qui sont aussi un moyen de sortir d’une économie coloniale ( [39]). Le processus de transformation vers la production agricole écologique rencontre des difficultés. Des coopératives sont contraintes, faute de produits sains disponibles, d’utiliser des engrais chimiques. À l’agriculture écologique correspond une industrie écologique, à l’idée de ne pas détruire l’environnement s’associe celle de ne pas piller les richesses naturelles (articles 11 et 9). Ceci n’est pas une mince affaire quand la richesse principale du pays est le pétrole. Aujourd’hui, l’absence de raffineries modernes contraint au raffinage artisanal particulièrement polluant et dangereux pour la santé.

    À l’image de la société sans État qui s’organise sans institutions autoritaires et fait de ses diversités sociales un atout, il s’agit de préserver un écosystème régulé par la diversité des productions et la mesure des modes d’exploitation. Cette préoccupation est forte dans la société, si l’on en croit le militant Salvador Zana, au point que « l’une des critiques les plus souvent exprimées dans les conseils de l’autonomie démocratique et ceux de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord est le manque de développement écologique ». Et Zana constate que, malgré les principes et résolutions révolutionnaires, « l’économie n’a presque pas progressé pour devenir écologique et durable. La principale raison étant la difficulté de s’éloigner de l’agriculture industrielle dans les conditions actuelles de guerre et d’embargo ( [40]) ».

    Cette observation met en valeur le rôle de l’économie sociale et le chemin qui reste à parcourir pour répondre au souci écologique d’une démocratie populaire, dont l’un des fondements est la préservation de l’écosystème. Aussi la Justice aura-t-elle son rôle : la loi lui donnera les moyens de « construire une société à la fois démocratique et écologique » (article 67).

    La disparition de l’État et du capitalisme ne se décrète pas, elle se constate. L’auto-administration démocratique du Rojava fait valoir son action pour arriver à ce constat. Elle souligne qu’il faut du temps, une stratégie politique compatible avec l’environnement local et international, à même de tenir le choc dans une Syrie où règne l’incertitude. Mais l’idée, toujours sous-jacente, reste bien d’en finir avec les nationalités et les frontières.

    III – Une démocratie sans nationalités ni frontières

    Un paragraphe du Préambule de la Charte du Rojava répondait à la question des frontières comme à celle de la diversité des populations tout en exprimant la philosophie du projet fédéraliste :

    « Par cette Charte, nous, peuples des Régions autonomes, nous [nous] unissons dans l’esprit de réconciliation, de pluralisme et de participation démocratique pour que tous puissent s’exprimer librement dans la vie publique. Par la construction d’une société libre de l’autoritarisme, du militarisme, du centralisme et des interventions des autorités religieuses dans les affaires publiques, la Charte reconnaît l’intégrité territoriale de la Syrie et aspire au maintien de la paix intérieure et internationale. »

    Si le Contrat social n’a pas repris cet alinéa tel quel, il en a conservé l’idée ( [41]). La nationalité ne fait pas question. Le Rojava reste dans les frontières de la Syrie, dont l’unité est préservée (article 9). Ses habitants sont syriens, comme par défaut. Par contre, il faut mettre fin à d’ancestraux conflits de territoire, de confiance, de domination, de racisme entre les peuples du nord de la Syrie, générés et entretenus par le nationalisme et l’étatisme.

    À la différence de l’État-nation qui tend à l’unification et l’uniformisation en niant les particularités ethniques ou culturelles, au mieux en les réduisant à des curiosités folkloriques, l’intention affichée dans la Charte et le Contrat social vise à effacer les frontières raciales tout en reconnaissant à chaque peuple des droits culturels et politiques spécifiques. Droit de pratiquer et d’enseigner sa langue par exemple, droit de pratiquer sa religion, droit à l’association affinitaire, droit à une représentation politique spécifique.

    A. Dépasser les peuples sans les nier

    Sur le territoire du Rojava vivent divers peuples : Kurdes généralement majoritaires, Arabes majoritaires dans quelques espaces, Assyriens, Chaldéens, Turkmènes, Arméniens, Tchéchènes, Tcherkesses pour reprendre l’ordre du Préambule du Contrat social. Ces populations sont réparties en plusieurs groupes confessionnels et culturels musulmans (sunnites principalement), chrétiens (catholiques et orthodoxes), yézidis et « différentes doctrines », ajoute, prudemment, le Contrat social. Il ne fait pas état de la laïcité, bien que l’idée s’y trouve et qu’elle ne soit pas cachée par ailleurs. Cependant, cette laïcité prend un aspect différent de la nôtre. Les religions n’interviennent pas en tant que telles dans la vie publique, mais la culture, la morale qu’elles portent, souvent liées à une communauté, doivent être prises en considération dans le fonctionnement de la société et les décisions politiques. La communauté est un sujet du droit constitutionnel en Syrie du Nord.

    D’une manière générale et plus encore au Proche-Orient, dit Öcalan, « le citoyen ne prend forme que par son appartenance à un groupe, une communauté ou à la société civile ( [42]) ». Ainsi, le principe d’égalité ne dérivera pas vers l’individualisme libéral s’il se combine avec le principe de « l’indissociabilité des droits individuels et collectifs ( [43]) ». Aussi, les minorités, en tant que peuples, groupes, ethnies, communautés – le Contrat social utilise diverses qualifications – doivent être associées, comme telles, à toutes les décisions par leur participation aux instances de la Fédération. Représentées à proportion de leur importance, elles bénéficient de rééquilibrage quand une procédure les défavorise (voir par exemple, ci-dessus, pour la composition du Congrès des peuples démocratiques). Les coprésidences mixtes sont généralement partagées entre les différentes ethnies, mais toujours avec un ou une Kurde. Le principe d’égalité est donc activé par le communautarisme. C’est ce qu’Öcalan appelle « la nation démocratique, un nouveau type de nation qui englobe toutes les entités culturelles, ethniques et religieuses et intègre des communautés urbaines, locales, régionales et nationales organisées en formations politiques démocratiques et autonomes sous la forme politique principale du confédéralisme démocratique. La nation démocratique est, face aux monstres nationaux-étatistes, une nation aux formations politiques et aux identités plurielles, riche de son multiculturalisme ( [44]). »

    Il y a une différence entre ce que l’on entend, en France, par « multiculturalisme » ou « communautarisme » et ce que l’idée communautaire signifie dans la Charte du Rojava ou le Contrat social. Ici, « le communautarisme, c’est l’autre », jamais nous ( [45]). Là-bas, le communautarisme n’est pas compris comme un repli communautaire, mais comme le droit pour une communauté d’avoir sa propre histoire, sa langue, sa culture…, de jouir de droits et de libertés en conséquence, de manière à vivre en paix et de collaborer pour le bien commun avec les autres grâce à l’auto-administration et l’autogestion. La polyphonie communautaire devient un moyen de lutter contre toute tentation nationaliste, tout développement séparé, toute velléité des uns à dominer les autres. Si le peuple est un signifiant vide, le confédéralisme démocratique lui donne corps par l’agrégation des communautés sans rien perdre de leurs particularités et différences. Paradoxalement, dans le fédéralisme, l’autonomie réunit. Ce n’est pas propre à la Syrie du Nord, c’est un principe du communalisme qui prend, selon les régions du monde, des couleurs différentes.

    La nation démocratique ainsi expliquée peut avoir deux applications. Dans la théorie du confédéralisme démocratique, elle est le sang, le vivant ; l’autonomie démocratique en étant l’ossature institutionnelle. Tout en gardant cette philosophie et en la mettant en œuvre de manière pragmatique, aujourd’hui, les responsables de la Syrie du Nord lui font aussi jouer un rôle dans le tableau diplomatique, pour le moins compliqué de la Mésopotamie.

    B. Dépasser les frontières sans les nier

    La critique de l’État-nation a conduit à renoncer à la construction d’une république kurde indépendante qui ne ferait qu’en reproduire les travers. Le municipalisme libertaire comme le confédéralisme démocratique se développent sans souci des frontières des États. Chaque entité territoriale adhère à la confédération sans référence nationale. Cependant, la réalité conduit à deux correctifs.

    Le premier est temporel. Dans une première phase, si un État reconnaît à une entité territoriale régionale le droit de pratiquer sa conception de la démocratie, à son tour, cette entité reconnaîtra la frontière internationale de l’État. Elle développera sur son territoire, si tel est son projet politique, l’auto-administration politique et l’autogestion économique. C’est le canevas de la constitution turque d’Öcalan, c’est la proposition que le Contrat social fait à la Syrie. Il sera bien temps, dans une deuxième étape, de penser comment les autonomies démocratiques dans cet État et au-delà se confédéreront au mépris des frontières.

    Le second correctif est diplomatique, motivé par la résolution du conflit en Syrie. Le confédéralisme démocratique et son projet de société sans État ont tout lieu d’affoler les différents protagonistes internationaux, que ce soient les quatre pays directement intéressés ou les Russes et les Occidentaux. Ils ont compris son ambition, mesuré ses capacités sur le terrain, et craignent la contagion. N’y aurait-il pas là le foyer d’un nouveau mouvement révolutionnaire international ? Dans le subtil jeu diplomatique du moment, les Kurdes et leurs alliés doivent rassurer, et le projet de nation démocratique, présenté comme protecteur des droits des peuples dans un système fédéral, est acceptable au moins pour les Russes, maîtres du jeu. C’est pourquoi, les autorités et diplomates de la Fédération ne parlent jamais de « confédéralisme démocratique », chargé idéologiquement, mais toujours de « nation démocratique » dans le cadre d’une « Fédération de la Syrie démocratique unie », est-il écrit dans le Préambule du Contrat social qui ajoute : « c’est la solution optimale » ( [46]).

    À la différence des Russes, les Turcs et les Iraniens sont fortement opposés à cette solution fédérale pour se préserver d’une même revendication d’autonomie de leur population kurde. Les Américains louvoient, prêts à laisser tomber les Kurdes de Syrie, comme ils le font généralement de leurs alliés locaux. Initialement rétif à cette hypothèse, le gouvernement syrien de Bachar al-Assad mollit sous la pression des Russes ( [47]). Son ministre des Affaires étrangères, Walid al-Mouallem, a déclaré, fin septembre, que « le gouvernement syrien est ouvert aux négociations avec les Kurdes au sujet de leur demande d’autonomie dans le nord de la Syrie ». Les Kurdes, bien que trouvant tardive la proposition, se sont déclarés « prêts à négocier » ( [48]). Pour faire bonne mesure, Assad souffle le froid : « La Syrie […] pourrait cibler les Forces démocratiques syrienne [Kurdes et alliés] après la défaite de l’État islamique », fanfaronne-t-il le 7 novembre 2017 ( [49]).

    Conclusion : la confiance n’exclut pas la critique

    À supposer qu’un compromis soit possible avec l’État syrien, ce dont tous les responsables politiques kurdes ne sont pas convaincus ( [50]), que la Syrie du Nord ne soit pas abandonnée à deux psychopathes, Erdoğan et Assad, enclenchant une nouvelle guerre civile à l’issue incertaine, pour l’un comme pour l’autre, que la paix revenue, la Fédération démocratique de la Syrie du Nord devienne une entité territoriale autonome au sein d’une République fédérale et démocratique syrienne aux pouvoirs restreint à certaines fonctions régaliennes, quels seront l’avenir du Rojava et l’évolution de l’autonomie démocratique ? Plusieurs hypothèses peuvent être émises ( [51]).

    Les tenants du pouvoir en Syrie du Nord veulent le conserver et n’ont ni la volonté, ni l’intention d’enclencher le processus de dissolution des institutions proto-étatiques vers le confédéralisme démocratique. Au contraire, ils verrouillent les institutions et amendent le Contrat social vers plus d’État. Alors, dans un événement paradoxal, la société civile se révoltera-t-elle, au nom du confédéralisme, contre les gouvernants et un parti issus de ses rangs ? Contre un État du Rojava devenu hostile ? Les « Communards » de Syrie chercheront-ils à appliquer les stratégies d’Öcalan et de Bookchin pour substituer la commune des communes autonomes à l’État régional kurde ?

    Les autorités sont confrontées à d‘insurmontables problèmes internes et internationaux ( [52]). Elles se résignent à opter pour une sorte de social-démocratie libertaire, une république sociale respectant les libertés publiques, protégeant les identités ethniques, maintenant l’égalité des genres, développant la participation des citoyens à la vie politique avec une dose de démocratie directe, encourageant l’économie sociale. Elles pérennisent le Contrat social. Après tout, cela ne serait déjà pas si mal au Proche-Orient. Le risque, plusieurs fois signalé, est qu’un État, serait-il fonctionnel, toujours tente de se renforcer, de reprendre au peuple ce qu’il lui a cédé. La présence d’un puissant parti, même bien intentionné, simplement parce qu’il est un parti, conforte cette crainte.

    Les autorités et le peuple développent le réseau communal qui assure de plus en plus les fonctions dévolues à l’État, l’économie sociale entre en concurrence avec le marché capitaliste et le marginalise, en un mot, les institutions proto-étatiques abandonnent progressivement leurs prérogatives pour se mettre en sommeil. Le PYD renonce à tout contrôler. Le processus s’inscrit dans ce qui est parfois appelé « troisième voie ». Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique se construisent graduellement selon le plan de Bookchin et d’Öcalan. Le commandant du Centre d’entraînement international des YPG, Cihan Kendal, résume :

    « Ce n’est ni l’idée anarchiste d’abolir l’entièreté de l’État immédiatement, ni l’idée communiste de prendre le contrôle de l’entièreté de l’État immédiatement. Avec le temps, nous allons organiser des alternatives pour chaque partie de l’État contrôlée par le peuple, et quand elles fonctionneront, ces parties de l’État se dissoudront [53]. »

    Pour le moment, pourquoi ne pas faire confiance aux responsables et aux peuples du nord de la Syrie ? Ne garder à l’esprit que la dernière hypothèse, avec les réserves et critiques constructives que chacun peut apporter selon ses convictions ? Expérience unique, elle mérite d’être soutenue par tous ceux qui, à travers le monde, aspirent à un changement de société pour en finir avec la domination et l’aliénation du couple fusionnel État-capital. Adaptable localement, la fédération des communes autonomes est une chance pour socialisme. La dernière peut-être.


    Pierre Bance, docteur d’État en droit, a été directeur des éditions Droit et Société de 1985 à 2008. Il collabore au site Autrefutur, espace d’échanges pour un syndicalisme de base, de lutte, autogestionnaire, anarcho-syndicaliste, syndicaliste révolutionnaire.

    Bibliographie sélective

  • Deux livres de Murray Bookchin

    Murray Bookchin, Une société à refaire. Vers une écologie de la liberté, préface d’Antoine Robitaille, traduction de l’américain par Catherine Barret, Montréal, Les Éditions Écosociété, « Retrouvailles », 2e édition en français, 2010.

    Murray Bookchin, Au-delà de la rareté. L’anarchisme dans une société d’abondance, présentation de Vincent Gerber, Montréal, Les Éditions Écosociété, « Retrouvailles », 2016, 280 pages.
  • Deux livres sur le municipalisme libertaire

    Janet Biehl, Le Municipalisme libertaire. La Politique de l’écologie sociale, préface d’Annick Stevens, traduit de l’anglais [États-Unis] par Nicole Daignault, Montréal, Les Éditions Écosociété, nouvelle édition révisée en 2013, 206 pages.

    Vincent Gerber, Murray Bookchin et l’écologie sociale. Une biographie intellectuelle, préface de Jean-François Filion,
    Montréal, Les Éditions Écosociété, 2013, 182 pages.
  • Deux livres d’Abdullah Öcalan

    Abdullah Öcalan, Confédéralisme démocratique, Cologne, International Initiative Edition, 2011, 46 pages.

    Abdullah Öcalan, La Feuille de route vers les négociations. Carnets de prison, préface d’Immanuel Wallerstein, Cologne, International Initiative Edition, 2013, 136 pages
  • Deux livres sur le confédéralisme démocratique et le Rojava

    Pierre Bance, Un autre futur pour le Kurdistan ? Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique, Paris, Noir et Rouge, 2017, 400 pages.

    Stephen Bouquin, Mireille Court et Chris Den Hond (coordination de), La Commune du Rojava. L’alternative kurde à l’État-nation, Bruxelles, Critica, Paris, Éditions Syllepse, 2017, 208 pages.
    Sélection de sites internet

  • Deux sites kurdes en France

    Conseil démocratique kurde en France (CDKF)
    Institut kurde de Paris
    Deux sites kurdes organiques (en anglais)
    ANF (News Ajansa Nûçeyan a Firatê, proche du PKK)
    ANHA News (Hawar news Agency, proche du PYD)
    Deux sites d’actualité sur le Kurdistan (en français)
    Kedistan
    Roj Info


    Notes


    [1] . Michael Löwy, Introduction à La Commune du Rojava. L’alternative kurde à l’État-nation, coordonné par Stephen Bouquin, Mireille Court et Chris Den Hond, Bruxelles, Critica, Paris, Éditions Syllepse, 2017.

    [2] . Pour une histoire moderne du Kurdistan, voir Gérard Chaliand avec la collaboration de Sophie Mousset, La Question kurde à l’heure de Daech, Paris, Éditions du Seuil, 2015, 158 pages, pages 17 et suivantes.

    [3] . André Métayer, « Les frontières : un concept obsolète et dangereux pour la paix entre les hommes », Amitiés kurdes de Bretagne, 1er septembre 2017.

    [4] . Loi sur la division administrative de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord du 27 juillet 2017 (en arabe sur le site Reddit.com).

    [5] . Lire dans Le Monde du 18 octobre 2017 une tribune de deux intellectuels kurdes, Aras Fatah et Mariwan Kanie, « Le Kurdistan n’a pas besoin de propagandistes », en réponse à celle de Bernard-Henri Lévy, « Élevons la voix en faveur des Kurdes ». Voir également, une tribune de Caroline Fourest, Anne Hidalgo, Bernard Kouchner, Bernard-Henri Lévy, Kendal Nezan, Manuel Valls dans Le Monde du 9 novembre 2017, « Ne laissons pas s’éteindre en nous la flamme du Kurdistan ».

    [6] . Abdullah Öcalan, Confédéralisme démocratique, Cologne, International Initiative Edition, 2011, 46 pages, citations pages 33 et 34. Cette brochure est disponible sur Internet (http://www.freedom-for-ocalan.com/francais/Abdullah-Oca...e.pdf) ; la pagination de la version numérisée est différente de celle imprimée, c’est à cette dernière qu’il est fait référence ici.

    [7] . L’écologie sociale se situe entre l’écologie profonde d’un retour à la nature et l’écologie politique intégrée à l’État.

    [8] . Pour approfondir la question du municipalisme libertaire et de l’écologie sociale lire : Vincent Gerber, Murray Bookchin et l’écologie sociale. Une biographie intellectuelle, préface de Jean-François Filion, Montréal, Les Éditions Écosociété, 2013, 182 pages. Du même auteur associé à Floréal Romero, une brochure dans laquelle leurs commentaires renvoient à des morceaux choisis : Murray Bookchin, pour une écologie sociale et radicale, Neuvy-en-Champagne, Le Passager clandestin, « Les précurseurs de la décroissance », 2014, 92 pages.

    [9] . Abdullah Öcalan, Confédéralisme démocratique, précité note (6), citations pages 33 et 34. Öcalan dit aussi, page 21, qu’on peut qualifier le confédéralisme démocratique « d’administration politique non-étatique ou encore de démocratie sans État » ou, page 27, que « le confédéralisme démocratique est un processus démocratique continu ».

    [10] . Abdullah Öcalan, Ibidem, page 26.

    [11] . Abdullah Öcalan, La Feuille de route vers les négociations. Carnets de prison (rédaction terminée le 15 août 2009, première édition en anglais en 2012), préface d’Immanuel Wallerstein, Cologne, International Initiative Edition, 2013, 136 pages.

    [12] . Ibidem, page 106.

    [13] . Pour approfondir l’idée de confédéralisme démocratique, voir Pierre Bance, Un autre futur pour le Kurdistan ? Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique, Paris, Noir et Rouge, 2017, 400 pages, pages 99 et suivantes.

    [14] . Ali Mezghani, L’État inachevé. La question du droit dans les pays arabes, préface d’Abdou Filali-Ansari et Abdelmajid Charfi, Paris, Gallimard, « Nrf, Bibliothèque des sciences humaines », 2011, 352 pages. « L’œuvre qui doit être réalisée est titanesque, puisqu’il faut passer d’un monde à un autre et traverser le temps… en peu de temps. » (Page 19).

    Les Kurdes ne sont pas des Arabes. Ils ont leur propre langue et culture, mais n’en sont pas moins soumis au système politique et juridique du pays qui les occupe : le droit arabo-musulman en Syrie et en Irak ; le pouvoir de la république islamique en Iran ; la modernité de l’État-nation laïc en Turquie, laquelle cède du terrain à l’islamisme réactionnaire de Recep Tayyip Erdoğan. Comme les Arabes, ou les Turcs et les Iraniens, les Kurdes subissent les prétentions de la religion musulmane à imposer une vision islamique de la société et du monde.

    [15] . Le texte du Contrat social de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord du 29 décembre 2016 a été traduit de l’arabe par le service de traduction de la Représentation du Rojava en France. Pour la Charte du Rojava du 29 janvier 2014, le texte est également publié par la Représentation du Rojava en France, mais elle n’en est pas la traductrice.

    [16] . Loi électorale de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord du 28 juillet 2017, article 4 (en arabe sur le site Reddit.com). Cette loi a été votée par l’Assemblée constituante dont les membres ont été désignés par consensus entre les différents segments politiques et culturels de la société.

    [17] . Ibidem.

    [18] . L’article 5 du Contrat social n’en dispose pas moins que la Fédération aura une capitale, un emblème et un drapeau. Abdullah Öcalan n’a-t-il pas écrit : « Notre conception de la nation démocratique n’est pas définie par des drapeaux et des frontières. » (Guerre et paix au Kurdistan. Perspectives pour une résolution politique de la question kurde [2008], Cologne, International Initiative Edition, 2010, 46 pages, citation page 42). Le mot « définie » doit être compris comme « sacralisée ».

    [19] . Article 12 du Contrat social, article 4 de la loi électorale du 28 juillet 2017, précitée note (16).

    [20] . Dans les trois anciens cantons existent des lois favorables aux droits des femmes comme le décret-loi du 1er novembre 2014 du canton de Cizîre (Pierre Bance, Un autre futur pour le Kurdistan ?, précité note 13, page 200).

    Lire Wladimir Van Wilgenburg, « Syrie : la difficile lutte des Kurdes pour les droits des femmes », Middle East Eye, 22 octobre 2017.

    [21] . La démocratie directe dont on parle, est celle, intégrale, du socialisme libertaire. Non les formes occasionnelles – référendums – ou partielles – conseils de quartier – que lui donnent les démocraties représentatives pour se requinquer.

    [22] . Hadiya Yousef entretien avec le Washington Kurdish Institute, le 27 septembre 2017. Avec ce rappel d’Öcalan : s’« il n’est pas réaliste de penser à une abolition immédiate de l’État […] cela ne veut pas dire que nous devons l’accepter tel quel » (Guerre et paix au Kurdistan, précité note 18, page 32).

    [23] . Pour un témoignage récent, Mireille Court et Chris Den Hond, « Une utopie au cœur du chaos syrien. Expérience libertaire au Rojava », Le Monde diplomatique, septembre 2017.

    [24] . Le parti repensé par Öcalan doit être « libertaire et égalitaire », « socialiste et démocratique » ([La Nation démocratique, Cologne, International Initiative Edition, 2017, 76 pages, citations pages 66. Disponible sur internet, cette brochure est une compilation de divers textes d’Öcalan).

    [25] . Loi sur les dates des élections du 28 juillet 2017, article premier (en arabe sur le site Reddit.com).

    [26] . Hawar news Agency (ANHA News), « 3 372 women nominated themselves for communes’ co-chairs » (3 372 femmes se sont présentées pour la coprésidence des communes), 18 septembre 2017.

    [27] . Déclaration vidéo de Mustafa Karasu, dans le cadre de la rencontre « Challenging Capitalist Modernity III : Uncovering Democratic Modernity – Resistance, Rebellion and Building the New » (Défier la modernité capitaliste III : découvrir la modernité démocratique – résistance, rébellion et construction du nouveau) à Hambourg du 14 au 16 mai 2017 (Kurdish Question.com, 15 avril 2017).

    Le KCK est une organisation regroupant toute la mouvance du PKK. Outre le PKK en Turquie, sont également membres du KCK, en tant que parti, le Parti de l’union démocratique (PYD) en Syrie, le Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK) en Iran et le Parti pour une solution démocratique au Kurdistan (PCDK) en Irak.

    [28] . On retrouve cette idée de régulation du marché dans les écrits d’Öcalan. L’autonomie économique et l’économie communale est un système qui « ne rejette pas le marché, le commerce, la diversité des produits, la concurrence et la productivité [mais] ce modèle rejette, en revanche la domination du profit et l’accumulation du capital ». Pour plus de détail, voir Abdullah Öcalan, La Nation démocratique, précité note (24), page 50.

    [29] . Jacques Robert et Jean Duffar, Droits de l’homme et libertés fondamentales, Paris, Montchrestien, « Domat, droit public », 8e édition, 2009, voir pages 14 et 45.

    [30] . À cette condition, les forces de légitime défense assurent « la protection des vies et des propriétés des citoyens » (article 64).

    [31] . Dans une société sans État, il sera plus pertinent, pour les biens familiaux, de parler de possession et d’usage plutôt que de droit de propriété (Pierre Bance, « La question du droit en anarchie », Grand Angle libertaire, 4 octobre 2013.

    [32] . Abdullah Öcalan, La Feuille de route, précité note (11), page 106.

    [33] . Salvador Zana, « Rojava’s économics and the future of the revolution » (L’économie du Rojava et l’avenir de la révolution), Kurdish Question.com, 1er juillet 2017.

    [34] . Abdullah Öcalan, La Feuille de route vers les négociations, précité note (11), page 106.

    [35] . Un appel aux investissements étrangers en 2014 est resté sans réponse (Pierre Bance, Un autre futur pour le Kurdistan ?, précité note 13, page 236).

    [36] . Entretien de Salih Muslim avec Jonathan Steele et Carne Ross, le 13 décembre 2016, rapporté dans le livre La Commune du Rojava, précité note (1), page 89.

    [37] . Amaad Youssef, ministre de l’économie du canton d’Efrîn, entretien avec Sedat Yilmaz pour le journal turc, aujourd’hui interdit, Özgür Gündem, « Rojava Challenging Norms of Class, Gender and Power » » (Le Rojava défie les normes de classe, de genre et de pouvoir), traduit en anglais le 22 décembre 2014 sur le site The Rojava Report.

    [38] . Stephen Bouquin, Mireille Court et Chris Den Hond, « Le changement par en bas » dans La Commune du Rojava, précité note (1), page 15.

    [39] . L’économie du Rojava peut être considérée comme une économie coloniale. Il a du blé, mais les minoteries sont en Syrie. Il a du pétrole, et les raffineries sont en Syrie. Les axes de circulation sont nord-sud, du Rojava vers la Syrie, mais non d’est en ouest entre les différentes cantons.

    [40] . Salvador Zana, « Rojava’s economics and the future of the revolution », Kurdish Question.com, 1er juillet 2017, précité note (33).

    [41] . Pour le Contrat social, ce discours a-t-il été considéré comme trop avancé, par exemple, sur la séparation de l’église et de l’État, à l’égard des populations et des autorités traditionnelles arabes récemment libérées du joug de l’État islamique ?

    [42] . Abdullah Öcalan, La Feuille de route vers les négociations, précité note (11), page 27.

    [43] . Ibidem, pages 38, 71 et 107.

    [44] . Abdullah Öcalan, La Nation démocratique, précité note (24), page 68. À cette base humaine qui nous intéresse ici, correspond une base matérielle : « Une économie libérée des monopoles, une écologie en harmonie avec l’environnement et une technologie compatible avec la nature et l’humanité, telles sont les bases institutionnelles de la modernité démocratique et donc, de la nation démocratique. » (Page 18).

    [45] . Préface d’Éric Fassin au livre de Fabrice Dhume-Sonzogni, Communautarisme. Enquête sur une chimère du nationalisme français, Paris, Demopolis, 2016, 236 pages.

    [46] . Voir, par exemple, Firat News Agency [ANF News], « Hediye Yusuf : Syrian crisis will be resolved with federal system » (Hadiya Yousef : La crise syrienne peut être résolue par le fédéralisme), 25 juillet 2017. Hadiya Yousef est la coprésidente de l’Assemblée constituante de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord.

    Ce n’est donc pas un hasard si vient d’être publié un recueil de textes d’Öcalan sous le titre La Nation démocratique, précité note 24.

    [47] . Allan Kaval, « Les Kurdes syriens misent sur un soutien russe », Le Monde, 18 novembre 2017.

    [48] . ANF News, « Northern Syria answers Damascus : We are ready for negotiations » (La Syrie du Nord répond à Damas : nous sommes prêts pour des négociations), 27 septembre 2017.

    [49] . Nadia Riva, « Assad’s top advisor says Syria will ‘deal with illegal invaders’ Turkey, US » (Un haut conseiller d’Assad déclare que la Syrie “traitera avec les envahisseurs” turcs et américains), Kurdistan 24, 8 novembre 2017.

    [50] . La coprésidente du Conseil exécutif de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord, Foza Yousef, ne croit pas à la sincérité d’al-Assad et de son gouvernement qui « s’engagent une fois de plus dans une approche fasciste pour reprendre le contrôle des droits et du sort des peuples du Rojava ». Elle propose d’avancer sur le terrain politique et militaire « sans trop les écouter » (ANF News, « Foza Yusif : Whoever attacks Efrîn will lose » [Quiconque attaquera Efrîn sera vaincu], 14 octobre 2017). Ce qu’il faut traduire par le souhait des Kurdes du départ d’Assad et de l’installation d’un gouvernement démocratique.

    [51] . Dans toutes ces situations, il faudra s’interroger sur le rôle que pourrait jouer le PKK. Si le PYD et le PKK appartiennent à la même internationale, le KCK, ils n’en sont pas pour autant identiques n’en déplaisent à ceux qui nous répètent que le PYD est un clone du PKK. Des observateurs, qui ne voient pas que le PKK joue un rôle plutôt modérateur des impatiences institutionnelles et militaires du PYD.

    [52] . Ces difficultés sont décrites dans des témoignages récents, non hostiles. Outre celui de Wladimir Van Wilgenburg (précité note 20), de Mireille Court et de Chris Den Hond (précité note 23), voir l’entretien de Patrice Franceschi avec Cris Den Hond et Jean-Michel Morel, « L’erreur de Barzani et la victoire des FDS à Raqqa », Rojinfo, 24 octobre 2017.

    [53] Entretien avec Cihan Kendal en août 2016 sur le site anglais Plan C, traduit et annoté par Julien Clamence, Collectif Alternative libertaire Bruxelles, 17 janvier 2017.

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