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Les assassins qui manquaient en Ayiti: l´armée colombienne “en vacances” dans les Caraïbes

category amérique centrale / caraïbes | impérialisme / guerre | opinion / analyse author Tuesday September 16, 2008 23:30author by José Antonio Gutiérrez D. Report this post to the editors

Sur les intentions d’Uribe d’envoyer des troupes en Ayití…
minustah_reuters.jpg

C´est comme si le peuple ayisien [1] n´aurait pas assez souffert avec les ouragans de ces derniers temps, avec la faim provoquée par des années d´imposition de l´orthodoxie néo-libérale et avec l´occupation militaire qu´il subit depuis 2004 de la part de l´ONU (dénommée MINUSTAH), maintenant nous apprenons, pour tout achever, que l´armée colombienne est en train de penser sérieusement à préparer ses valises et mettre le cap sur Port-au-Prince[2]. La Colombie , disons-le en passant, n´est pas de manière absolue en dehors de la MINUSTAH comme on pourrait le supposer tenant compte du silence absolu qui entoure cette mission de douteuses créances humanitaires. En réalité, la Colombie a déjà des policiers en Ayiti depuis le début de la mission en juin 2004 [3], mais, jusqu´à présent, elle n´avait pas envoyé de troupes. Ça c´est la toute dernière nouvelle.

Les troupes colombiennes sont, en réalité, les uniques makoutes qui manquaient dans la parodie de mission “humanitaire” que représente la MINUSTAH , d´où participent la soldatesque brésilienne, argentine, jordaniene, népalaise, maroquaine, péruvienne, nigérienne, paquistanaise, et celle de bien d´autres pays dont leurs forces armées sont également “respectueuses” des droits humains comme le Sri Lanka.

Et je dis parodie, parce que c´est très curieux qu´une mission de paix, en moins d´une année, arrive à assassiner à 10.000 ayisiens et à avoir plusieurs massacres à son compte. En réalité, l´ONU et sa misision dénommée humanitaire, ont servi de façade à un Coup d´État sui generis, car ça a eu lieu dans un pays sans armée. Rappelons-nous qu´en 1995 le président Aristide avait dissout l´armée, vu que durant son histoire elle avait seulement entrepris des Coups d´État mais elle n´avait jamais fraîné même une seule intervention étrangère [4]. Les faits qui conduisirent à ce Coup sui generis se déroulèrent ainsi: au début de 2004, un groupe armé par des ex-militaires et policiers au service des dictatures des Duvalier et Cédras, financé par la CIA et entraîné en République Dominicaine, commence avec une série d´attaques dans le nord d´Ayiti, pendant que des groupes financés par les États-Unis exécutaient un plan de déstabilisation, semblable à celui utilisé au Chili durant l´époque d´Allende afin de renverser le régime populiste d´Aristide, lequel n´était pas agréable à Washington (celui-même qu´ils avaient déjà renversé en 1991). Les assassins à solde de la CIA ont pu renverser Aristide avec l´appui d´un commando des États-Unis qui l´a pris en ôtage et envoyé en exil en République Centreafricaine, mais comme ils ne pouvaient pas prendre en charge le gouvernement, pour celà, après une brève occupation par les États-Unis, la France , le Canada et le Chili, une mission de l´ONU avait pris la charge d´assumer la sécurité du régime post-Coup d´une manière nettement différente à celle quand l´armée exerce elle-même le pouvoir durant une dictature militaire. Dans le but de maintenir la dictature des 3% plus riches dans un pays sans armée, il ne restait aux nostalgiques de Duvalier que recourir à une occupation étrangère [5].

Ne serait-il pas meilleur si le visage public de cette occupation ne serait pas les États-Unis, trop souillés par ses aventures au Moyen-Orient, ni par la France , avec un passé colonial trop onéreux. C´est ainsi qu´arrivèrent les “chapulines colorados” de l´Amérique du Sud pour démontrer que, quand l´Oncle Sam ne peut pas accomplir parfaitement ses tâches de contrôle hémisphérique, ses marionnettes locales peuvent le faire à sa place. De cette façon ils installent le faitidique précédent d´occupations avec empreinte impérialiste à la charge de pays latino-américains, c´est-à-dire, occupation “sous-commande”. Et, en passant, chacun tire son profit de l´occupation, car Ayiti depuis longtemps n´est qu´une charogne pour que n´importe quel vautour la dévore.

Il faut souligner que toutes les armées qui participent de cette occupation ont une histoire grave de violations des droits humains, donc en réalité nous ne pouvons pas être surpris des résultats de cette mission. De ce point de vue, l´armée colombienne ne sera pas, comme le dit une expression créole, comme un “cochon à la messe”, c´est-à-dire, désorientée, sinon qu´elle arrive comme associée avantageuse au groupe “d´élite” du club de la MINUSTAH. Nous savons que l´armée colombienne est le grand responsable du drame des réfugiés en Colombie, qui oblige chaque année à 313.000 colombiens à vivre hors de leurs foyers, qui contamine des populations paysannes entières avec le programme de fumigation de coca (bien que sa culture ait augmenté à 27% durant la dernière période selon les rapports de l´ONU), que ses soldats obtiennent des jours libres et autres bénéfices pour chaque “guérillero tué” (pratique qui a augmenté le nombre des dénommés “faux-positifs”, où des paysans qui n´ont rien à voir avec le conflit sont assassinés et présentés comme “guérilleros morts en combat” ) – (on en compte déjà 1.000 depuis l´arrivée au pouvoir du gouvernement d´Uribe), et qu´ensemble avec les paramilitaires ils sont responsables de la mort d´au moins 70.000 membres d´organisations populaires depuis le début des années ´90 et de la disparition de quelques 30.000 en plus durant la même période (une récente entrevue avec le paramilitaire démobilisé alias HH permet de faire un peu de lumière sur cette horreur) [6], qui, en empêchant le passage d´aliments à certains secteurs afin de faire mourir de faim les guérillas, en réalité, ce qu´ils font c´est qu´ils tuent de faim des communautés entières et, en dernière instance, dans chaque lieu où arrive un bataillon ils commencent avec les violations des femmes et des mineurs en âge. Nous voyons, alors, qu´à l´armée colombienne il ne lui manque pas de mérites pour intégrer la MINUSTAH.

Mais ce n´est pas seulement l´armée colombienne qui se trouve à l´aise parmi les gorilles qu´elle a comme partenaires dans la MINUSTAH : le même régime d´Uribe en Colombie maintient une grande ressemblance avec celui de Duvalier (sauf la couleur de la peau). Les deux utilisèrent la corruption et la terreur de leurs partisans pour gagner des élections; les deux ont modifié la légalité à leur avantage pour exercer un “caudillismo” autoritaire et vorace; les deux ont recouru à l´aide de forces irrégulières pour réaliser la sale besogne (makoutes en Ayiti, paramilitaires en Colombie); les deux ont eu la sacrosainte autorisation de Washington et ont élaboré une idéologie de la sécurité nationale face à la menace latente de leurs voisins “communistes” et de leurs alliés “apatrides” locaux, et surtout, les deux ont utilisé et manipulé une idéologie chauvine, nationaliste et béatifiée afin de se présenter comme l´incarnation du bien, des valeurs éternelles de la patrie et de la grâce divine.

Je peux m´imaginer le ministre Santos et Uribe, buvant un thé avec les Duvalier, avec Papa Doc et avec Baby Doc, tandis qu´ils parlent au sujet du narco-terrorisme, du communisme, de confabulations étrangères, d´apatrides et de la vertu de réciter le Notre Père dix fois par jour. Papa Doc, dictateur de 1957 à 1971, avait rédigé un catéchisme de son régime, rempli d´images religieuses, de drapeaux et de louanges à lui-même, dont l´une d´entre elles disait le suivant:

Notre Doc, toi qui es au Palais Nacional pour toute la vie, santifié soit Ton nom pour les générations présentes et futures. Fais ta volonté tant à Port-au-Prince comme dans les provinces. Qu´il y ait pour nous une nouvelle Haití et que tu ne pardonnes jamais les péchés des anti-patriotes qui salissent chaque jour notre pays, tu dois les laisser tomber dans la tentation, et sous le poids de leur rancoeur, ne les libères d´aucun mal....” [7].

Amen. Il s´agit tout simplement de remplacer les allusions à Papa Doc par “Uribe” et le Palais Nacional par la Maison de Nariño, et l´oration est une réplique et une copie d´un article des éditorialistes serviles de l´uribisme. Ou ça pourrait été un éditorial de El Tiempo ou de Caracol.

Ainsi que messieurs, à préparer les valises et les billets de départ pour les Caraïbes, car c´est à présent le tour des troupes colombiennes pour se transformer en “touristes avec fusils”, comme , avec sagese, le peuple ayisien appelle les casques bleus de la MINUSTAH. Donc la Colombie arrive ensemble avec les États-Unis, tel Robin après Batman, pour aider son maître dans la mission en Ayiti (tout comme en Afganistan). Qu´il ne reste aucun doute au sujet du compromis de la Colombie de se mettre au service des intérêts supérieurs de ses maîtres à Washington ni de son hostilité envers tout ce qui a l´odeur des causes populaires. Personne ne peut supposer que le gouvernement n´est pas prêt pour satisfaire les caprices de son patron et l´aider dans sa croisade globale de domination. Tant bien que mal, tous ont quelque chose à gagner avec le drame d´Ayiti: c´est ainsi que le Brésil utilise cette mission comme monnaie d´échange afin d´obtenir un poste permanent au Conseil de Sécurité de l´ONU, la Colombie semble profiter de sa participation dans l´occupation afin de recevoir l´aval du Congrès des États-Unis, pour, enfin, signer le TLC. Comme on le voit, tous ont quelque chose à gagner. Tous, sauf les ayisiens.

Donc, président Uribe, il faut presser le pas: n´envoyez pas seulement des troupes. Envoyez aussi leurs compléments nécéssaires, leurs “Rastrojos”, leurs “Águilas Negras”, leurs “Paisas”, leurs “Nueva Generación”, leurs “Jorge 40” , leurs “Mancusos”, etc., tous leurs paramilitaires, pour achever la besogne, et à l´aide de “motosierra”, il faudra enseigner à tous ces “nègres de la merde” en Ayiti ce qu´est, tonnerre, la démocratie, tel comme on l´avait enseigné durant des décadas à ces autres “nègres de la merde” qui habitent le “Chocó” et la “Côte Caraïbéenne” de la Colombie. ¡Sécurité Démocratique aussi pour Ayiti! En outre, cette tâche civilisatrice ne peut pas rester à moitié, car, après les massacres, quelqu´un devra faire disparaître les cadavres, ¿ou non?

Envoyez aussi vos amis de Gallup pour enseigner à la MINUSTAH comment falsifier des enquêtes, afin de convaincre à présent le monde que la MINUSTAH a l´appui de 84% des ayisiens, que Préval (président installé à parir d´élections sous surveillance de l´occuaption) est aimé par 91% des citoyens et que l´ex-président Aristide n´est qu´un vulgaire “narco-terroriste” sans idées politiques et ne s´intéresse seulement à Ayiti que comme route pour le trafic de la cocaïne qui, via Vénézuéla, se dirige vers le monde civilisé. Entre-temps, le peuple ayisien, silencieusement, poursuivra avec sa lourde charge de forger son destin, en dépit de tout: des ouragans, de la faim, du néo-libéralisme et de l´occupation. Et, oui, il saura poursuivre sa tâche pour forger son destin en dépit des makoutes colombiens. Ayibobo [8]

José Antonio Gutiérrez D.
11 Août 2008



[1] Je préfère toujours utiliser Ayití pour Haïti et ayisien au lieu d’Haïtien. Telle est la façon de l’écrire et de le dire dans la langue d’origine du pays, le kréyol ayisien.

[2] http://www.elespectador.com/impreso/politica/articuloim...e=0,0

[3] http://www.un.org/depts/dpko/missions/minustah/facts.html

[4] L’article cité dans le journal colombien “El Espectador” (http://www.elespectador.com/impreso/politica/articuloim...e=0,0) est un bon exemple de la légèreté et du manque de sérieux du journalisme colombien quand il ose écrire qu’une des tâches de la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti) est “de soutenir l’armée haïtienne”. Ils ignorent une donnée aussi élémentaire qu’une telle armée n’éxiste pas! A partir de là, il est impossible d’avoir confiance en la suite de l’article et de penser qu’il puisse être plus “professionnel”. Est-il possible d’espérer autre chose de cette presse rapporteuse?

[5] J’ai publié divers articles d’analyse sur la crise haïtienne, entre lequels il est possible de citer “Ayití, una cicatriz en el rostro de América” (http://www.anarkismo.net/article/1063 ) et “Ayití, entre la liberación y la ocupación” (http://www.anarkismo.net/article/4651) au sujet de la crise elle-même, auxquels s’ajoute “Macoutes et opportunistes du Chili exportés en Haiti” (http://www.anarkismo.net/article/2161), une réflexion sur les soldats chiliens et leur nature dictatoriale, publiée dans le “Haïti Tribune”.

[6] http://www.elespectador.com/impreso/judicial/articuloim...e=0,1

[7] Cit. en “The Haiti Files –Decoding the Crisis” ed. James Ridgeway, Essential Books, Azul Editions, 1994, p.20.

[8] L’equivalent d’Amen dans les rites voudous

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